Passionnée par la santé des femmes, Dre Martine Morin exerce la médecine principalement en périnatalité au Centre Hospitalier de Universitaire de Sherbrooke. Elle a intégré la pratique à la clinique de planification familiale en 1983. Elle nous démystifie aujourd’hui le terme planning et nous parle de sa carrière et surtout de sa passion pour la médecine.
Dre Morin, où avez-vous fait vos études en médecine?
J’ai étudié la médecine à l’Université de Sherbrooke et j’ai par la suite fait ma résidence en médecine de famille. Même si durant cette période nous n’avions pas l’obligation de faire une résidence, j’ai choisi de faire la résidence parce que je considérais qu’une rotation en stage dans des hôpitaux lors de l’internat ne nous préparait pas vraiment à travailler dans la communauté et à faire le suivi de patients.
Pourquoi choisir la médecine et surtout la médecine de famille?
Plus jeune je voulais être enseignante. Au Cégep je me suis intéressée aux différents aspects de la santé dont les déterminants sociaux de la santé et la santé des femmes et j’y ai développé un intérêt pour la médecine. À la fin des années 1970, l’Université de Sherbrooke était reconnue pour offrir un programme intégré, axé sur les aspects sociaux et communautaires ce qui attirait beaucoup mon attention et m’a incité à y faire application. Par la suite la médecine de famille allait de soi, car cette discipline permet une pratique variée, multidisciplinaire et surtout en lien avec la communauté ce qui correspondait totalement à mes aspirations.
En quoi consiste votre pratique aujourd’hui?
Je pratique la médecine de famille au CSSS-IUGS depuis 1986 dans le GMF des Grandes-Fourches. Durant plus de 20 ans, j’ai eu une pratique d’omnipraticien plus élargie mais j’ai concentré ma pratique sur la périnatalité dernièrement. J’assure la garde d’obstétrique en rotation avec 4 autres membres du GMF. Nous avons une clientèle provenant souvent de milieux sociaux défavorisés, multiculturelle avec une grande proportion d’immigrantes. C’est une pratique très enrichissante à tous les points de vue qui nous permet de voyager sans nous déplacer!
Je pratique aussi à la clinique de planning de Sherbrooke où je fais de la contraception, des interruptions volontaires de grossesse, des consultations en fertilité, du counselling et du traitement d’ITSS et de la gynécologie de première ligne.
J’ai pu allier la médecine à l’enseignement au cours de ma carrière médicale, car j’enseigne quelques cours au pré doctoral, des cours de périnatalité pour les sciences infirmières et j’enseigne aussi un cours aux sages-femmes à UQTR, tout ça bien sûr en plus de la supervision en milieu clinique! L’an dernier j’ai fait le microprogramme de 2e cycle en pédagogie des sciences de la santé et j’ai découvert une nouvelle passion. Je m’implique également à l’international surtout au niveau pédagogique en Uruguay et à Haïti.
C’est une pratique très inspirante et motivante parce que les femmes sont très reconnaissantes lorsqu’elles se sentent respectées dans leur choix et non jugées.
Pour certains, le terme planning n’est pas clair, pouvez-vous nous expliquer ce que ça implique?
Depuis plusieurs décennies, les femmes revendiquaient la légalisation et l’accès à l’avortement. Les cliniques de « planning » ont vu le jour en 1977 suite à la mobilisation des groupes de femmes et grâce à l’implication et aux batailles juridiques du Dr Henri Morgentaler, elles permettent aujourd’hui à de nombreuses femmes d’avoir accès à ces services. On les appelait à l’époque les cliniques « Lazure » du nom du ministre de la santé qui les a implantées. La planification des naissances est une notion large qui fait référence à la possibilité pour chaque individu de planifier le nombre d’enfants souhaités et d’en choisir le moment en évitant une grossesse non désirée via l’utilisation des méthodes de contraception et l’interruption volontaire de grossesse si nécessaire. Cette notion semble très simple mais est en fait très complexe. La contraception a longtemps été interdite et l’est encore de nos jours dans plusieurs pays. Il en va de même pour l’avortement.
Si l’historique de la planification familiale vous intrigue, il y a un tableau fort intéressant sur le site Internet de La Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN)«». Vous y apprendrez entre autres que les premiers condoms ont vu le jour en 1564 en et étaient fabriqués d’intestin d’animaux.
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler en planning?
J’étais intéressée par la santé des femmes, et par la périnatalité. Je trouve que ce volet fait partie intégrante de la vie des femmes.
Je sais que ce sont des médecins de famille qui s’occupent de la clinique de planning de Sherbrooke, pouvez-vous nous parler un peu de cette clinique?
Partout au Québec plusieurs médecins de famille sont impliqués en planning. Il ne faut pas oublier que la contraception fait partie des services de première ligne et que c’est une raison de consultation fréquente.
À Sherbrooke historiquement c’est un gynécologue qui a contribué à implanter la clinique en 1979. À l’époque l’avortement était un sujet controversé et même tabou (plus qu’aujourd’hui!), donc peu de médecins voulaient s’impliquer. À ce moment les médecins intéressés étaient des médecins de famille. Dans plusieurs cliniques de planning au Québec, gynécologues et médecins de famille se côtoient et travaillent en équipe, ce qui pourrait éventuellement se produire à Sherbrooke! Nous ne demandons pas mieux, le travail multidisciplinaire contribue à la qualité des soins.
Qu’est-ce que vous appréciez le plus de cette pratique?
Plusieurs femmes vivent l’IVG très sereinement, il s’agit de les accompagner dans leur choix afin d’avoir des interventions sécuritaires. Dans les pays ou l’avortement est illégal, le taux de mortalité maternelle est plus élevé car les femmes ont recours à des services insalubres. En pratiquant des avortements, paradoxalement j’ai le sentiment d’éviter le décès de certaines femmes.
J’apprécie la relation qu’on peut établir avec les femmes et les couples qui choisissent d’interrompre leur grossesse, c’est souvent une situation très stressante. Pour les plus jeunes c’est la plupart du temps aussi la décision la plus importante qu’elles ont eu à prendre. Pour certaines femmes, c’est un choix déchirant et pour d’autres c’est un tournant important dans leur vie. C’est donc une pratique très inspirante et motivante parce que les femmes sont très reconnaissantes lorsqu’elles se sentent respectées dans leur choix et non jugées.
Est-ce qu’il y a des défis ou des choses que vous trouvez plus difficiles dans cette pratique?
Ce qui est difficile : La souffrance et la culpabilité de certaines femmes face au geste posé. L’IVG suite à une agression sexuelle, comme si la femme se faisait agressée une deuxième fois…. La violence vécue par certaines femmes, l’impuissance face à plusieurs situations de vie…
Le défi : Établir une relation de respect et non jugement peu importe la situation, ou notre propre état d’esprit.
Avez-vous un mot à dire aux étudiants hésitant à aller à médecine de famille?
La médecine de famille nous permet de faire une pratique variée, intéressante et enrichissante qui peut évoluer en cours de carrière. Il est possible d’y développer certaines expertises particulières correspondant à nos aspirations, tout en maintenant une polyvalence essentielle à la médecine de première ligne. Le médecin de famille est un acteur essentiel dans un système de santé qui veut prendre en charge les populations et il peut faire une grande différence pour ses patients dans la vie de tous les jours.
Jamais je n’ai regretté mon choix de carrière, c’est le plus beau métier du monde.
Entrevue réalisée par Maryse Lefebvre-Laporte
Université de Sherbrooke