Dr Barbeau est médecin de famille au CLSC des Faubourgs, qui dessert une partie du centre-ville et du centre-sud de Montréal. Il fait aussi le suivi de plusieurs patients narcomanes au CRAN – Centre de recherche et d’aide aux narcomanes. Finalement, il ne faut pas oublier de mentionner qu’il est praticien-chercheur pour le CREMIS – Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales et les discriminations.
Au tout début, David Barbeau s’est dirigé en médecine parce qu’il souhaitait faire de la recherche fondamentale sur le cerveau. Il s’était toujours vu comme un futur neurologue ou psychiatre. Cependant, suite à un voyage d’aide humanitaire au Guatemala, il a compris qu’une approche globale des patients était essentielle pour les aider convenablement. C’est ainsi qu’il a choisi d’opter plutôt pour la médecine familiale.
Au cours de ses études médicales, Dr Barbeau a complété une maîtrise en pharmacologie et il a entamé un doctorat en neurosciences, qu’il a finalement abandonné quelques années après la fin de ses études. Une des raisons l’ayant motivé a se séparer de la recherche fondamentale se basait sur un dilemme éthique qui le perturbait : pourquoi travailler sur des hypothèses qui pourraient peut-être, éventuellement, mener à quelque chose de bénéfique alors qu’il pouvait déjà aider, concrètement, des gens qui en avaient besoin ?
Dr Barbeau a connu le CLSC des Faubourgs dès sa résidence. Il appréciait bien ce centre, puisqu’il le mettait en contact avec une population marginalisée (patients souffrant de maladies mentales, sans-abris, etc.), ce qui l’attirait particulièrement. C’est à ce moment qu’il a rencontré Dr Pierre Lauzon, fondateur du CRAN (inauguré en 1986), qui a transmis à Dr Barbeau le désir d’intégrer le suivi de narcomanes (dépendants aux opioïdes) dans sa pratique de médecin de famille.
« Il s’agit de la seule dépendance pour laquelle il existe un traitement efficace et prouvé ! » dit Dr Barbeau. En effet, il fait partie des médecins ayant suivi la formation requise pour pouvoir prescrire des traitements de méthadone à ses patients dépendants des opioïdes.
Il décrit ce traitement comme une intervention hyper-efficace, quasi « miraculeuse ». Il décrit effectivement ses expériences les plus stimulantes comme étant d’assister à ce changement spectaculaire qui, peu de temps après le début du traitement, fait sortir les gens de la rue, de la prostitution ou encore des milieux criminels. « C’est très gratifiant, évidemment parce que les patients sont reconnaissants, mais aussi parce qu’on voit renaître les gens, en quelque sorte. »
Dr Barbeau décrit son travail comme étant un vrai défi, car la plupart du temps, il existe une grande distance sociale entre son statut de médecin et la population qu’il traite. C’est d’ailleurs un des facteurs que Dr Barbeau met en cause pour expliquer que si peu de médecins veulent prendre en charge des patients narcomanes. D’autres facteurs mis en cause seraient les préjugés et les tabous stipulant souvent que ces patients sont très exigeants et dérangeants, ce qui n’est pas toujours faux selon Dr Barbeau, mais dans la majorité des cas, dit-il, ces patients sont très respectueux.
On a certainement le sentiment d’être utile et de faire une différence; on voit également cette différence, ce qui n’est pas comparable à d’autres traitements de suivi…
Dr Barbeau croit fermement que cette population particulière de patients devrait être mieux répartie à travers le monde médical. De plus, il croit que les médecins de famille sont les mieux placés pour traiter toutes les formes de toxicomanie, car ces dépendances peuvent entraîner des conditions médicales autres, telles que des infections, qu’un psychiatre, par exemple, ne serait pas en mesure de traiter aisément.
Pour donner quelques chiffres, voici les estimations que Dr Barbeau m’a communiquées, afin d’exposer plus clairement la situation actuelle :
On estimerait qu’un héroïnomane « libre » (sans aucun traitement ni suivi médical) coûte environ 50 000 $par an à la société, alors qu’un héroïnomane sous traitement de méthadone coûte environ 5 000 $par an. On estime aussi qu’au Québec, seulement 30 % des gens qui bénéficieraient véritablement d’un traitement sont traités avec la méthadone. Il n’y a donc aucun doute pour Dr Barbeau, il faut absolument sensibiliser le monde médical à intégrer cette population dans leur pratique; ça ne peut qu’être bénéfique aux niveaux pharmacoéconomiques et sociaux!
Il existe plusieurs avantages à pratiquer le suivi de patients narcomanes en tant que médecin de famille, selon Dr Barbeau : « On a certainement le sentiment d’être utile et de faire une différence; on voit également cette différence, ce qui n’est pas comparable à d’autres traitements de suivi, par exemple lors d’un traitement antihypertenseur où les bénéfices apportés sont plus ou moins visibles ». Le principal avantage de travailler au CRAN, qui a désormais pour mission le suivi de patients narcomanes uniquement, est qu’il s’agit d’une équipe. Ainsi le travail est allégé, entre autre au niveau administratif, ce qui offre la possibilité de se concentrer pleinement sur le travail médical.
Selon Dr Barbeau, un étudiant « type » bien adapté au suivi de narcomanes doit être intéressé par la marginalité et la complexité. Son avis est qu’en tant que médecin de famille, il est essentiel d’être confortable avec l’incertitude, mais encore plus lorsque l’on travaille en toxicomanie. Aussi, il ne faut pas se montrer impatient, car chaque patient dicte lui-même le rythme de son traitement. Finalement, il faut savoir mettre des limites, car il s’agit de patients très pharmacodépendants qui peuvent avoir plusieurs besoins particulier qu’on se doit souvent de freiner.
Pour les étudiants particulièrement intéressés à prendre cette voie, Dr Barbeau suggère fortement de s’inscrire à un stage au CLSC des Faubourgs (que ce soit un stage d’observation, d’externat ou de résidence), car il s’agit d’un des seuls milieux dans la Grande région de Montréal où l’exposition à cette population se fait systématiquement, pour tous les élèves.
Pour conclure, Dr Barbeau déplore l’exposition limitée, voire inexistante, des étudiants en médecine à cette population marginalisée. Il croit que beaucoup de préjugés et de tabous persistent envers cette population dans le monde médical et que pour y remédier les étudiants devraient être exposés à ce monde le plus tôt possible. D’ailleurs, Dr Barbeau croit qu’une exposition lors de l’année préparatoire serait très pertinente, car n’ayant pas encore expérimenté la clinique, les étudiants pourraient dès lors briser les tabous associés à cette pratique.
Pour en savoir plus sur l’histoire et la mission du CRAN
Rachel Rodrigue
Université de Montréal