Aussitôt finis mes derniers examens de troisième année, je me suis envolée direction Vancouver pour le premier de mes stages à option de quatrième année. Pourquoi Vancouver? Pour voyager sans sortir du pays, pour découvrir la beauté de l’Ouest canadien, pour l’ambiance zen/hippie, mais surtout pour un stage de médecine urbaine!
La médecine urbaine, c’est la santé des populations marginalisées vivant dans les grandes villes, telles que les toxicomanes, les personnes sans domicile fixe, la communauté LGBTQ, les travailleuses et travailleurs du sexe, les réfugiés et immigrants, les populations autochtones et les jeunes de 14 à 25 ans.
Je connaissais déjà un peu ces populations, ayant fait du bénévolat avec les interventions locales de Médecins du Monde Canada, où j’assistais des médecins eux aussi bénévoles dans des cliniques gratuites desservant les populations les plus vulnérables de Montréal. Ces cliniques ont été mises en place pour pallier aux lacunes de notre système de santé actuel, dans lequel lesdites populations ne sont pas et ne se sentent pas toujours les bienvenus. Le but ultime de ces cliniques est d’établir un pont entre les populations visées et le système de santé pour qu’elles soient éventuellement prises en charge par ce dernier. Bref, tout ça pour dire que je voulais voir un système dans lequel existent des services spécialisés pour les populations marginalisées.
Tous les deux mercredis, le centre de santé communautaire Ravensong et une même docteure consacrent la journée à la santé de personnes transgenres. C’était un privilège pour moi de pouvoir observer et même participer à certaines des entrevues.
La toxicomanie au centre des soins
Durant mon stage de quatre semaines, j’étais basée à la clinique Three Bridges Community Health Center, située au centre-ville de Vancouver et affiliée au programme de résidence de médecine de famille de l’hôpital Saint-Paul’s. La clinique est ouverte de 8h30 à 20h, six jours sur sept, et offre des « Youth Drop-Ins » tous les après-midis et soirs.
La clinique se spécialise en toxicomanie, c’est-à-dire qu’elle offre le programme de traitement à la méthadone ou Suboxone (buprénorphine + naloxone) pour la dépendance aux opiacés, principalement l’héroïne. Ce programme est excellent, car il permet de donner une nouvelle stabilité aux patients luttant contre leur dépendance tous les jours : avec la méthadone, ils arrivent à penser à autre chose, à faire en sorte que tout ne tourne pas autour de la drogue, à organiser les autres sphères de leur vie qu’ils avaient négligées. Bien sûr, le chemin pour atteindre cette stabilité est parfois long et difficile, avec plusieurs rechutes ; la méthadone a ses propres effets secondaires non désirés, et les patients doivent souvent payer quotidiennement une certaine somme pour obtenir leur dose de méthadone à la pharmacie.
La clinique repose sur le travail d’une équipe multidisciplinaire extraordinaire : infirmières spécialisées en ITSS, conseillers en dépendances et arrêt de tabagisme, conseillers spécialisés en logement social ou pour les jeunes, et médecins de famille passionnés. D’ailleurs, les médecins avec qui j’ai travaillés avaient tous un look non-conventionnel—piercing facial, tatouage visible sur les bras—selon les « normes » de la médecine ; c’était très rafraîchissant de voir cela ! C’est un milieu où tout préjugé est défait, autant du côté des patients que des professionnels de la santé.
La réduction des méfaits : des interventions inspirantes
Selon mes intérêts, mon superviseur de stage m’a aussi organisé une demi-journée au site d’injection supervisée Insite, deux demi-journées au centre CTCT et deux journées de clinique en santé des transgenres.
Insite existe depuis 2003 et est le seul site d’injection supervisée en Amérique du Nord. Des infirmiers et conseillers sont sur place en tout temps pour intervenir si besoin, et du matériel stérile est disponible en libre-service pour les clients, qui doivent amener leur propre drogue. Insite est non seulement un lieu de réduction des méfaits, mais aussi un lieu d’éducation, de counseling et de référence vers des traitements de dépendances. Au-dessus d’Insite, il y a Onsite, un centre de désintoxication; et au troisième étage, un centre d’hébergement temporaire avec une politique « zéro drogue » pour ceux qui ont réussi leur séjour en désintoxication et qui attendent pour un logement social et des services de réinsertion sociale. De plus, un médecin visite Insite tous les jours pour offrir des consultations médicales aux usagers du site… À quand déjà les sites d’injection supervisés pour Montréal ?
CTCT (Community Transition Care Team) est un lieu d’hébergement transitoire pour les patients toxicomanes ayant besoin d’antibiotiques intraveineux durant de nombreuses semaines pour des infections chroniques ou difficiles à traiter. CTCT désengorge les hôpitaux, offre des soins spécialisés et un milieu de vie beaucoup mieux adapté aux personnes toxicomanes que les hôpitaux. Il y a des infirmières 24h/7 et un médecin qui vient faire la tournée des patients tous les jours. Avec seulement 9 lits, vous pouvez imaginer que les listes d’attente sont énormes.
La santé des personnes transsexuelles, une pratique à démystifier
Tous les deux mercredis, le centre de santé communautaire Ravensong et une même docteure consacrent la journée à la santé de personnes transgenres. C’était un privilège pour moi de pouvoir observer et même participer à certaines des entrevues. Les patients que nous avons vus étaient de tous âges, toutes origines (plusieurs réfugiés du Moyen-Orient venus au Canada pour discrimination contre leur identité sexuelle); et ils étaient tous à des étapes différentes de leur transition. Les soins prodigués incluent le counseling initial, les traitements hormonaux, les références pour les chirurgies de réassignation sexuelle, les groupes de support, etc. Ce qui était merveilleux à voir : pas besoin d’une évaluation psychiatrique lourde, ni de consultation en endocrinologie avant de débuter l’hormonothérapie ; c’est une médecine que les médecins de famille peuvent facilement prendre en charge, mais qui reste encore à être démystifiée !
Je pourrais continuer à parler de mon stage en long et en large, mais j’espère vous avoir donné un bon aperçu de ce qu’est la médecine urbaine. Après avoir vu les services de Vancouver, il faut maintenant que j’explore ce qui est fait dans ma ville, à Montréal. La clinique OPUS ouverte au centre-ville depuis un an semble très intéressante… À suivre !
Catherine Ji
Université McGill