Photo : Guillaume Morin – Parlement Jeunesse du Québec
Éloquente et enthousiaste, Dre Anne-Sophie Thommeret-Carrière, résidente de première année, n’a rien perdu de son désir de faire une différence dans sa communauté depuis la fin de ses études prédoctorales à l’Université de Montréal. Outre la coordination du Parlement jeunesse du Québec, une simulation parlementaire de haut profil de la province dont elle est la première ministre cette année, Dre Thommeret-Carrière se consacre aussi à son nouveau coup de cœur, la médecine de famille. Première Ligne l’a rencontrée dans ses bureaux au CLSC des Faubourgs, dans le quartier Centre-Sud de Montréal.
Nina Nguyen (NN) : Comment expliquez-vous votre intérêt pour la médecine de famille ?
Anne-Sophie Thommeret-Carrière (ASTC) : J’aimais beaucoup d’aspects de la médecine familiale : la prise en charge, l’urgence, l’hospitalisation, la santé mentale, la toxicomanie, la santé de la femme. Et je trouve que tous ces aspects se trouvent en médecine familiale. On essaie de revaloriser le rôle du médecin de famille : on dit un peu que c’est le chef d’orchestre des soins, ce que à quoi je crois fondamentalement. Cela me plaisait beaucoup d’être cette personne-là qui pouvait aussi être la porte d’entrée en première ligne de tous ces patients, parfois un peu désorientés dans le système de santé, d’essayer de faire le plus possible pour eux, de bien les diriger et de gérer leurs besoins. J’aime beaucoup la santé urbaine et la toxicomanie, et j’envisage peut-être faire une R3 (NDLR : programme de compétences avancées) en toxicomanie, un nouveau programme qui débute en 2015 à l’Université de Montréal.
NN : Qui étiez-vous en tant qu’étudiante en médecine?
ASTC : Je trouve ça toujours difficile de se décrire et de se donner des étiquettes, mais je te dirais que je suis une fille de « coups de cœur ». Lorsque j’ai commencé ma médecine, j’ai eu la chance de m’impliquer dans IFMSA-Québec, la section québécoise de la Fédération internationale des associations d’étudiants en médecine (IFMSA), et de rencontrer des gens qui engagés qui m’ont fait voir d’autres aspects de la médecine. J’étais très intéressée par la santé internationale, mais j’ai découvert la santé mondiale, qui comprenant les volets international et local. C’est ce côté local qui m’a interpellée par la suite, étant donné que nous sommes plus outillés et plus culturellement appropriés, mais on a quand même des chocs culturels dans nos propres communautés ! L’engagement crée un sentiment d’appartenance, et j’avais envie de faire partie à ma communauté, ici et maintenant, à Montréal.
NN : Est-ce que votre expérience dans IFMSA-Québec vous a donc un peu orientée vers la médecine de famille ?
ASTC : IFMSA-Québec m’a donné l’opportunité de créer des projets et de rencontrer tous ces gens à travers ces mêmes projets. J’ai aussi la chance de m’impliquer dans le Parlement jeunesse du Québec, qui m’a permis de réaliser que je ne voulais pas faire de la politique, mais de la politique en santé : simplement militer pour mes patients, puis agir par rapport aux injustices que j’ai l’opportunité de voir sur le terrain, et je pense qu’il y a beaucoup de latitude pour faire cela en médecine familiale. Encore là, je pense que cela fait partie de notre travail, l’advocacy, c’est une des compétences CanMEDS (NDLR : compétences définissant les champs de pratique de la médecine de famille). Quand on dit advocacy, je pense qu’il y a une perte de sens qui s’est faite à la traduction vers le français : on dit « promotion de la santé », mais ça ne veut pas dire promouvoir de saines habitudes de vie, ça veut vraiment dire militer pour le bien-être de nos patients et de la société québécoise at large. On a un statut social vraiment privilégié comme médecin, et il faut le réaliser et aller au bout de l’importance qu’on nous donne.
…avoir l’impression que je fais partie d’une équipe avec une pharmacienne, un psychologue, des infirmières, d’autres médecins, d’autres résidents et des externes est ce que j’apprécie le plus, et c’est vraiment un beau sentiment d’appartenance.
NN : Qu’en est-il par rapport votre expérience au sein du Parlement jeunesse du Québec (PJQ) ?
ASTC : Cela fait cinq ans que je m’implique au sein du PJQ, une simulation parlementaire non-partisane pour les jeunes de 18 à 25 ans. C’est une grosse école de la vie, et c’est un système pyramidal : on débute en tant que député, et on monte les échelons. C’est vraiment une organisation qui donne confiance en soi. Elle m’a beaucoup aidée en ce qui concerne ma pensée critique, ma maîtrise de l’art oratoire, ma capacité à aborder les gens et leurs idées et mes habiletés à leur répondre dans le respect et dans l’écoute, en plus de développer ma conscience sociale et mon sens de l’engagement. Plus on monte dans les années au PJQ, plus on apprend des choses différentes, et là je suis rendue dans l’étape où j’apprends à gérer une équipe, à motiver les gens et à aller chercher les forces et les faiblesses dans l’équipe. C’est ce qui m’a fait réaliser que j’aimais beaucoup faire de l’enseignement : c’est une des raisons pourquoi je veux rester en milieu universitaire et dans l’unité de médecine familiale des Faubourgs.
NN : Malgré votre appréciation pour la médecine de famille, cette spécialité reste méprisée par plusieurs étudiantes et étudiants en médecine. Pourquoi ?
ASTC : C’est vraiment une bonne question, mais je pense que nos stages à l’externat ne sont pas représentatifs de ce qu’on va faire comme patron : c’est juste huit semaines, et on est bousculés en clinique pour nous donner un aperçu de tout ce qui peut se faire en médecine familiale, mais les étudiants n’ont pas nécessairement le temps de voir comment ça peut être un beau travail d’équipe. Au CLSC des Faubourgs, avoir l’impression que je fais partie d’une équipe avec une pharmacienne, un psychologue, des infirmières, d’autres médecins, d’autres résidents et des externes est ce que j’apprécie le plus, et c’est vraiment un beau sentiment d’appartenance. Ce que je trouve dommage, c’est que, durant nos stages à l’externat, on est souvent intégré à des équipes de pneumologie, d’endocrinologie ou de chirurgie composées de gens qui sont « tissés serrés », qui sont toujours à l’hôpital ensemble et qui ont une belle dynamique, une belle chimie. Souvent, on apprécie ces spécialités parce qu’on a envie de faire partie de l’équipe, mais ce n’est pas ça que j’ai ressenti lorsque j’ai fait mon stage de médecine de famille à l’externat de par la façon dont le stage est bâti : c’est un moment qui m’a fait douter.
Ensuite, ce sont les témoignages que j’ai reçus des étudiants qui ont fait le cours INCommunity (NDLR : un cours d’option à l’externat à l’Université de Montréal portant sur les populations locales négligées, résultant d’un projet d’éducation par les pairs cofondé par Dre Thommeret-Carrière) qui m’ont fait voir comment la médecine de famille peut faire peur. Ils disent se sentir tellement démunis devant les patients super-compliqués, ils ne connaissent pas les ressources communautaires disponibles, ils ne savent pas quoi faire avec ces patients, et ils n’ont jamais été en contact avec des médecins qui savaient gérer le tout. Après le cours, ils nous disaient que ce n’était pas beaucoup, quinze heures d’exposition et deux journées de cours mais, malgré tout, ils se sentaient maintenant éveillés et tellement plus outillés. Sentir qu’on a des compétences là-dedans, même petites, ça fait toute la différence.
NN : Qu’est-ce qui fait peur aux étudiantes et aux étudiants en médecine de famille, au point où ils se sentent si démunis ?
ASTC : Ça peut faire peur de sentir qu’on est la personne ressource en première ligne, qu’il faut qu’on sache un peu tout : c’est quand même un gros défi de devenir un spécialiste de la première ligne en deux ans, ce n’est pas facile ! Des fois, les étudiants peuvent avoir peur parce qu’on a l’impression qu’on va être tout seul dans notre pratique, qu’on va s’isoler, qu’on n’aura pas la reconnaissance voulue, qu’on aura des obligations des prise en charge, qu’on aura des obligations de débit, en plus des exigences autres qu’on ne peut prévoir et qui peuvent changer d’année en année. Ce sont des peurs légitimes, mais c’est une belle pratique, c’est gratifiant de par nos patients et de par nos collègues. Ce n’est pas vrai qu’on s’isole dans cette pratique-là : il y a un million de ressources, de support et de contextes de pratique qui font qu’on travaille en équipe, qu’on se stimule, qu’on reste à jour et qu’on fait de l’enseignement.
NN : Quels sont les aspects que vous appréciez le plus en médecine familiale ?
ASTC : Il y a eu un moment la semaine passée qui a tellement été valorisant : j’étais en semaine d’hospitalisation, et il y avait une patient multi-compliquée, avec de multiples problèmes de santé, pas si vieille—dans la soixantaine—à qui on avait donné congé après lequel elle devait revoir six spécialistes différents pour faire des examens. Cette dame-là était un peu dépassée par les événements, un peu désorganisée dans tout ça, et je la comprenais tellement parce que, moi aussi, j’aurais été désorganisée devant tous ces papiers de relance et de consultation et ces numéros de fax et de téléphone. Elle n’avait pas de médecin de famille : c’est une dame qui venait toujours à la clinique sans rendez-vous sur la rue Parthenais quand elle avait des problèmes de santé, car elle habite sur notre territoire.
J’ai eu l’opportunité de lui offrir de venir dans mes bureaux de résidente et je serai maintenant sa médecin de famille ! J’avais pu assister à tous ses soins en hospitalisation, donc j’ai l’impression de vraiment lui donner un suivi adéquat à cette patiente-là. Pour moi, c’est ce en quoi consistent vraiment des soins de quartier : locaux et communautaires. C’est ça, la médecine familiale, d’être capable continuer à suivre nos patients dans leurs soins aigus et dans leurs hospitalisations, tout comme dans leurs soins à long terme et leur suivi en bureau. La patiente était émue et vraiment contente : je pense qu’on fait de la médecine familiale pour ces gens-là qui ont vraiment besoin de nous, pour qui ça fait une différence, alors c’était un moment touchant, un moment coup de cœur. Un moment marquant de ma semaine, de mon début de carrière !
Entre politique, enseignement et engagement, les sphères d’implication d’un médecin de famille sont multiples, même lorsqu’on est en début de carrière. Dre Thommeret-Carrière, à peine dans la mi-vingtaine, fera assurément partie de cette relève qui transformera la médecine en un engagement social à long terme. Bien qu’elle soit très engagée en politique étudiante de par sa participation à diverses simulations parlementaires locales et internationales, elle assure que la politique ne fait pas encore partie de ses plans : pour l’instant, les soins cliniques sont ce qui la passionne le plus. Il n’est donc pas étonnant de savoir qu’elle désire se consacrer davantage à l’enseignement auprès des futurs étudiants en médecine, dans le but de leur instiller, peut-être, le même désir de servir qu’elle entretient envers sa communauté. -PL
Propos recueillis par Nina Nguyen
Université de Sherbrooke