Photo : David Boily
Entrevue avec Dre Marie-Eve Morin, MD, CMFC
Directrice, Division Addictions | Hépatite C | Santé mentale
Clinique OPUS – Médecine urbaine
J’ai rencontré Dre Marie-Eve Morin pour la première fois un soir de janvier en 2012 lors d’une clinique du « Projet Montréal » de Médecins du Monde[1], pour lequel Dre Morin est médecin-bénévole depuis dix ans. J’étais en première année de médecine. Elle m’avait alors parlé d’un projet sur lequel elle travaillait fort depuis des années : celui d’ouvrir une clinique urbaine dédiée aux personnes toxicomanes, une population trop souvent marginalisée par le système de santé.
La passion de Dre Morin pour la médecine urbaine, et plus particulièrement pour la médecine des dépendances, est née d’une « erreur de parcours ». Après ses études en médecine à l’Université de Sherbrooke, elle a poursuivi une résidence en chirurgie orthopédique à l’Université Laval. « Après deux ans, ce n’était vraiment pas pour moi; je n’étais pas heureuse. J’ai complètement décroché, parce que quand t’as un échec en médecine, c’est souvent le premier échec de ta vie », raconte Dre Morin avec beaucoup d’honnêteté. C’est le département de médecine de famille qui a communiqué avec à nouveau pour la convaincre de se donner une seconde chance et d’essayer la médecine familiale. Dre Morin ne croit pas au hasard : elle a été placée à l’UMF de Saint-François d’Assise à Limoilou, situé dans un quartier rock n’ roll qui compte beaucoup de cas de santé mentale et de toxicomanie, d’anciens détenus et de travailleurs du sexe. Pour la première fois dans son parcours médical, elle s’est sentie utile. « Si t’as un patient qui vient de sortir de prison, qui a l’hépatite C et une maladie bipolaire non traitée, qui a besoin de méthadone et qui en plus est sans domicile fixe, tu n’as pas besoin de faire grand-chose pour faire une grande différence! Tu commences par traiter la maladie bipolaire, par exemple, et tu verras les bénéfices immédiatement, et ton patient aussi. Contrairement à ce que les gens pensent, ce ne sont pas des clientèles difficiles; ce sont des clientèles différentes. »
Depuis, Dre Morin s’est spécialisée en hépatite C, en toxicomanie et en santé mentale et a travaillé aux cliniques médicales L’Actuel et Nouveau Départ, ainsi que dans les prisons fédérales. Même si elle a adoré toutes ces expériences, elle trouvait quand même que le système était trop compliqué pour les patients; elle rêvait d’ouvrir une clinique où les patients seraient au centre des soins et bénéficieraient d’une approche bio-psycho-sociale.
C’est ainsi qu’en juin 2013, Dre Morin célébrait l’ouverture officielle de la clinique OPUS, acronyme pour « Orientation et Prévention dans l’Usage de Substances » (nom réservé en 2007, bien avant l’apparition des cartes OPUS…), aux côtés des cofondateurs, Dr Roger LeBlanc, médecin interniste spécialisé en maladies infectieuses et VIH, et M. Glen Morris, kinésiothérapeute.
« C’est sûr qu’avec l’approche bio-psycho-sociale, on ne voit pas nos patients aux dix minutes ici, car ils ont de multiples problèmes qu’on essaie d’aborder et de régler. Par contre, si le projet de loi 20 passe, on devra peut-être changer notre façon de travailler, malheureusement. Un de mes grands mentors m’a appris que la plus grande parole pour les personnes toxicomanes, c’est l’écoute… mais, pour ça, il faut du temps! Je ne sais pas où s’en va notre genre de pratique dans ce système qui cherche toujours à couper sur notre temps ».
C’est donc à la clinique OPUS, située au centre-ville sur la rue Peel, que j’ai eu la chance de rencontrer Dre Morin pour une entrevue pour Première Ligne, quatre ans après notre première rencontre. Dès qu’on met les pieds dans la clinique, on sait qu’elle n’est pas comme les autres : décor moderne, couleurs vibrantes, musique lounge, tableaux originaux; l’ambiance est apaisante et électrifiée à la fois. Chaque bureau est personnalisé et le bureau rouge grenade de Dre Morin représente bien sa propriétaire passionnée et dynamique!
« Dans notre système actuel, on demande aux patients de s’adapter au système… Ça devrait être le système qui s’adapte aux patients! », répond Dre Morin pour appuyer l’idée d’une approche globale qui évite de travailler en silos. Les patients de la clinique OPUS n’ont pas à se promener d’un établissement médical à l’autre pour recevoir leurs soins. À OPUS, ils peuvent faire leurs prises de sang et avoir l’examen du Fibroscan[2], et ont accès à des médecins omnipraticiens, des médecins spécialistes en gastroentérologie, en psychiatrie, en maladies infectieuses, en urologie, ainsi qu’à des intervenants paramédicaux en massothérapie, en acupuncture, en kinésithérapie, en psychothérapie, en sexologie, en nutrition et en travail social. Il y a même une pharmacie sur place! Tous les soins médicaux, à l’exception des soins paramédicaux, sont couverts par la RAMQ dans cette clinique semi-privée, qui appartient entièrement à des associés et qui ne reçoit pas de subventions gouvernementales.
« C’est sûr qu’avec l’approche bio-psycho-sociale, on ne voit pas nos patients aux dix minutes ici, car ils ont de multiples problèmes qu’on essaie d’aborder et de régler. Par contre, si le projet de loi 20 passe, on devra peut-être changer notre façon de travailler, malheureusement. Un de mes grands mentors m’a appris que la plus grande parole pour les personnes toxicomanes, c’est l’écoute… mais, pour ça, il faut du temps! Je ne sais pas où s’en va notre genre de pratique dans ce système qui cherche toujours à couper sur notre temps », déplore Dre Morin, dont 90 % de ses patients ont des problèmes de dépendance de toutes sortes et des problèmes de santé mentale.
Le modèle de l’approche globale en toxicomanie est un modèle qui fonctionne, qui est reproductible et qui donne des résultats positifs. S’il n’y avait pas de patients qui s’en sortaient, Dre Morin ne ferait pas ce travail-là. Elle voit des patients qui se transforment en un an ou deux, elle les accompagne dans leur évolution vers une seconde vie. « Ce sont des personnes très reconnaissantes; et le plus beau cadeau qu’elles puissent me faire, c’est lorsqu’elles m’amènent un nouveau patient. C’est un grand signe de confiance. »
En plus de son dévouement pour ses patients, Dre Morin est aussi très pédagogue. Elle adore avoir des stagiaires, que ce soit des étudiants en médecine ou des résidents, de n’importe quelle faculté. D’ailleurs, vers la fin de l’entrevue, elle m’apprend qu’elle donnera une présentation sur l’hépatite C à un groupe de personnes toxicomanes le lendemain et n’hésite pas à m’y inviter, voyant mon intérêt! Cette présentation annuelle, organisée en collaboration avec l’organisme communautaire Dopamine, est donnée dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. Ce fut une opportunité unique et incroyable pour moi d’assister à cette conférence, rassemblant une vingtaine de personnes toxicomanes, curieuses d’apprendre sur l’hépatite C et sur ses traitements, soucieuses de leur santé et surtout très respectueuses des témoignages personnels des autres membres du groupe.
Comme dit Dre Morin : « Nous, on a des préjugés contre les toxicomanes, mais la toxicomanie, elle, n’a pas de préjugés. Elle peut toucher tout le monde. » Alors, ouvrez votre esprit, votre cœur et vos oreilles et allez faire votre formation de méthadone (ça prend juste un jour)!
Un gros merci à Dre Marie-Eve Morin pour cette entrevue!
Catherine Ji
Étudiante en 4e année à l’Université McGill
[1] Les cliniques hebdomadaires du « Projet Montréal » sont des cliniques gratuites et anonymes pour les populations vulnérables de Montréal et sont organisées en collaboration avec des organismes communautaires, tels que Dopamine et le Centre d’Amitié Autochtone de Montréal. Depuis juin 2014, Médecins du Monde a aussi une clinique mobile (la première en Amérique du Nord!) qui se promène tous les soirs de semaine pour offrir des soins dans la rue.
[2] Appareil d’imagerie diagnostique non-invasive et indolore qui permet de mesurer la fibrose du foie dans la prise en charge, le suivi des hépatites chroniques et autres maladies du foie et qui remplace de plus en plus la biopsie hépatique.