Si, au début de sa carrière, on avait dit à Dre Marie Giroux qu’elle occuperait son poste actuel de directrice du département de médecine de famille de l’Université de Sherbrooke, elle aurait répondu spontanément : « C’est impossible que je fasse cette sorte de travail là ».
Dre Giroux pratique la médecine de famille à Sherbrooke depuis 25 ans. Lors de ses premières années de pratique, elle consacrait 80 % de sa pratique aux tâches cliniques, dont la médecine d’urgence pendant trois ans, puis l’obstétrique. À présent, elle continue de suivre ses patients à raison d’une demie à une journée par semaine, en plus de faire du sans rendez-vous les soirs et les fins de semaine. Tour à tour tutrice à l’unité de reproduction, tutrice d’intégration clinique et professionnelle, adjointe à la vie étudiante et directrice d’une unité de médecine de famille, cette médecin a multiplié son implication en enseignement et en gestion. Ce qui l’a amené à occuper son poste actuel de directrice de département de médecine familiale, c’est le fait qu’il y ait eu « une conjoncture […] où le directeur du département avait terminé son mandat et où il n’y avait personne qui s’était démontré intéressé par ces tâches là. » Elle devint donc la personne toute désignée. Elle en est actuellement à son deuxième mandat, dont la durée est de quatre ans. Le département de médecine de famille de l’Université de Sherbrooke chapeaute entre autres la formation des futurs médecins, autant la formation médicale générale que la résidence en médecine de famille. Il comprend 11 unités de médecine de famille réparties dans cinq régions administratives du Québec et au Nouveau-Brunswick, 75 à 80 médecins-professeurs, une équipe de chercheurs et 800 professeurs d’enseignement clinique.
Les postes qu’elle a occupés en coordination à la vie étudiante et dans le cadre du programme d’aide aux médecins du Québec l’ont, en quelque sorte, mené à un tournant dans sa carrière. « Ça m’a amené à m’intéresser à l’orientation professionnelle, à la gestion du stress, aux liens entre la santé mentale et la santé organisationnelle. Éventuellement, je me suis rendue compte qu’on pouvait difficilement juste s’intéresser à la santé des futurs médecins sans s’occuper de la santé des médecins en pratique, puis des professeurs, parce que tout est interdépendant », explique-t-elle. En ce sens, Dre Giroux croit qu’il faut « réussir à faire de bons apprentissages pour devenir un médecin compétant, tout en évoluant dans un milieu qui est productif, efficient et sain sur le plan des relations interpersonnelles et en s’assurant de toujours donner des bons soins aux patients. »
« On n’est pas là à travailler avec des chiffres. Les chiffres vont se porter mieux si on s’occupe bien des personnes »
Non seulement il est possible de concilier la pratique médicale avec des tâches de gestion, mais Dre Giroux croit également que le médecin de famille est avantagé par rapport à ses collègues spécialistes. « En médecine de famille, on est habitués d’avoir une vision systémique des choses. On a des réflexes, de par notre discipline, qui sont très aidants en gestion : de regarder l’ensemble des systèmes, de regarder les différents impacts, […] de regarder comment on peut faire les choses différemment. »
En ce qui concerne les atouts d’un bon gestionnaire, Marie Giroux peut décrire avec précision les caractéristiques remarquées chez des collègues l’ayant inspirée. Dans sons parcours, elle a eu plusieurs « mentors informels », dont Réjean Hébert (ex-doyen de la faculté), Pierre Cossette (doyen actuel de la faculté) et Suzanne Gosselin (directrice du partenariat médical du CSSS-IUGS), pour ne nommer que ceux-là. Elle conseille de s’efforcer à mettre des mots sur ce qu’une personne a fait exactement pour devenir un modèle pour soi.
« On est commotionnés par la façon dont les choses ont été faites par le ministère de la santé. On souhaite travailler en partenariat avec eux, mais […] on a eu l’impression de subir une sorte de dénigrement public massif »
La capacité de travailler en équipe est au premier plan dans ce qu’elle identifie comme caractéristiques d’un bon gestionnaire, mais au-delà de cela, elle évoque la notion de respect de l’autre, soit de toujours garder en tête qu’on travaille avec des personnes. « On n’est pas là à travailler avec des chiffres. Les chiffres vont se porter mieux si on s’occupe bien des personnes », explique-t-elle.
Elle ne croit pas qu’une formation supplémentaire soit absolument nécessaire pour occuper un rôle comme le sien, mais qu’il faut néanmoins avoir de bonnes connaissances sur la gestion, tels que « la gestion de projets, la gestion de conflits, la gestion financière, etc. » D’ailleurs, elle recommande les ouvrages de l’auteur et professeur à la faculté d’administration de l’Université McGill, Henry Mintzberg, à quiconque s’intéresse à la gestion.
Le fait d’être capable de se remettre en question et de regarder les choses sous de nouvelles perspectives sont aussi des qualités importantes. Au final, elle ajoute: « Il faut avoir le goût de le faire. Il faut être motivé. Il faut aimer ce qu’on fait et il faut y voir un sens. Ce serait probablement normal et très prévisible qu’il y ait peu d’étudiants en médecine qui se disent moi je vais être gestionnaire dans mes deux ou trois premières années de pratique. C’est tellement important comme médecin de famille qu’on consolide nos habiletés cliniques, qu’on se rassasie en clinique […], mais en même temps de prendre certaines responsabilités dans nos milieux et, avec le temps, de rester ouvert à ces possibilités là ».
Un autre point important amené par Dre Giroux concerne la place des femmes dans les postes de gestion : « Je pense que c’est important que, comme femme médecin, on contribue à la gestion. Si on veut témoigner de la réalité qui concerne les femmes, on est des bonnes personnes pour être là. Et il faut être là où ça compte, au-niveau des prises de décisions, […] des lieux de pouvoir, des lieux d’influence ».
Toutefois, avec de telles responsabilités viennent également des aspects plus difficiles. La gestion du stress en est de ceux-là. « C’est un travail passionnant, mais très prenant lorsque vient le temps de dénouer une situation », explique-t-elle. Actuellement, ce qui affecte le plus les gens du département de médecine de famille, c’est le contexte politique actuel avec le projet de loi 20 du gouvernement libéral. « On est commotionnés par la façon dont les choses ont été faites par le ministère de la santé. On souhaite travailler en partenariat avec eux, mais […] on a eu l’impression de subir une sorte de dénigrement public massif », dit-elle. Elle est convaincue qu’il faille fournir tous les efforts nécessaires pour accroître l’accessibilité à la première ligne, mais elle déplore la façon dont c’est fait, « autant dans le ton que dans le contenu ». Elle ajoute : « je pense que c’est contre-productif d’utiliser des moyens de pédagogie négative pour stimuler les troupes, […] et qu’on risque d’avoir plus de pertes que de gains. » Déjà, elle voit les effets néfastes que ça a sur ses collègues sur le terrain. Elle conseille à ces derniers de ne « surtout pas perdre [leur] âme dans tout ça, de garder le cap sur la fierté de ce [qu’ils font]. » Elle qualifie le climat comme étant « extrêmement difficile », mais arrive malgré tout à faire preuve de résilience : « Je ne peux pas m’empêcher de penser que la médecine de famille existait bien avant le gouvernement actuel et qu’elle va continuer à être là après le gouvernement actuel. On ne va pas leur donner raison […]. On doit rester dignes et convaincus. »
Marie-Laure Dolbec
Étudiante en 4e année de médecine à l’Université de Sherbrooke