La Médecine Autour du Globe: Taiwan (et pourquoi vous devriez vous y intéresser)

La Médecine Autour du Globe: Taiwan (et pourquoi vous devriez vous y intéresser)

Au mois de mai dernier, j’ai eu la chance de participer à un échange sur la santé publique à Taiwan, organisé par Comparative HealthCare System Program (CHSP). Étant sur le point de terminer mon baccalauréat en Psychologie à McGill, et ayant l’intention d’entrer en médecine par la suite (ce fut d’ailleurs à Taipei que je reçus ma lettre d’acception), je voulais connaître un système de santé qui m’étais tout à fait inconnu, afin d’en ressortir avec vue plus comparative de notre propre système. Mais, d’entre tous les pays, pourquoi diable donc Taiwan?

En fait, Taiwan est souvent considéré comme un modèle au plan de la santé et l’implémentation de ce système est la preuve vivante que l’innovation passe parfois par l’inspiration de nos pays voisins. En 1995, le président Taiwanais Lee Teng-Hui, insatisfait du système de santé dépareillé et non-accessible à tous, demanda une réforme complète. L’initiative demandera l’étude de différents systèmes de santé provenant d’une douzaine de pays au travers du globe, notamment le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Unis et (surprise?) le Canada. En un an, le National Health Insurance (NHI), grandement inspiré du système d’assurance médicale Canadien, connu le jour. La couverture médicale est assez extensive, incluant médecine chinoise traditionnelle, soins dentaires, soins préventifs, etc. Le paiement des premiums est partagé entre l’assuré, le gouvernement, et l’employeur, et le ratio des trois varie selon la catégorie de l’assuré (vétérants, familles à faible revenu, fermiers, civils, etc). Aujourd’hui, avec un très haut taux de population assurée (près de 99%) ainsi qu’un relativement faible coût au système – seulement 6% GDP per capita, contre 10.9% au Canada et 17.1 % aux États-Unis –, la réforme du NHI peut être considérée une initiative réussie. Ainsi, comme Taiwan a appris de nous il y a maintenant vingt ans, nous espérons maintenant apprendre d’eux en retour.

En voyant ces données, un des premières questions qui s’impose inévitablement : Comment Taiwan peut se permettre d’avoir un système de santé aussi peu coûteux, tout en gardant une couverture médicale aussi grande? Premièrement, les patients doivent assumer un copaiement pour chaque visite en clinique ou hôpital. Par contre, pour empêcher que la question du financement devienne une barrière à l’accès aux soins, le coût est relativement bas (environ 5 $), et les personnes à faible revenu en sont exemptes. Également, Taiwan se démarque par un système de dossiers médicaux électroniques fort efficace, qui non seulement réduit les coûts administratifs, mais qui réduit également la surutilisation de soins. Finalement, deux autres facteurs que j’ai appris durant mon échange en conversant avec des professionnels de la santé: le coût des médicaments est relativement peu onéreux (alors qu’au Canada, cela représente environ le tiers des dépenses reliés au système de santé), et les médecins sont souvent surchargés et sous-payés. Il m’est arrivé plusieurs fois durant mon échange de voir des médecins se plaindre du salaire alloué – en moyenne de 5000$ par mois – considérant les longues heures de travail (un médecin de famille a confié à notre groupe voir entre 70 et 80 patients en une journée), en plus du stress provoqué par le manque de docteurs dans plusieurs domaines de la santé, et par le haut risque de poursuites judiciaires. Comme quoi le coût du système de santé, qui semble au premier regard si abordable, semble empiéter sur la qualité de vie des médecins pratiquant.

Visite d’une clinique de médecine chinoise traditionnelle (TCM), donnée par Dr. Chen, qui possède une double-licence pour pratiquer la TCM ainsi que la médecine biomédicale

Visite d’une clinique de médecine chinoise traditionnelle (TCM), donnée par Dr. Chen, qui possède une double-licence pour pratiquer la TCM ainsi que la médecine biomédicale

Le système de santé Taiwan se différencie de façon intéressante au Canada par un accès aux médecins spécialistes sans nécessiter de référence par un généraliste (en anglais, ceci est connu sous le nom de gatekeeping system). Ainsi, les Taiwanais se retrouvent devant cet attrayant buffet de « spécialistes à volonté ». Cet accès illimité cause de multiples frustrations chez les professionnels de la santé, en particulier pour les médecins de famille. Plusieurs médecins Taiwanais nous ont fait part de leur désir d’enlever ce gatekeeping system, qui existe notamment au Canada pour empêcher la consultation inutile de spécialistes. Évidemment, les patients Taiwanais ne partagent pas la même opinion, puisqu’un tel système les empêcherait de voir n’importe quel professionnel de la santé à leur guise. Dans un sens, il est vrai que l’imposition d’un système de référence met une énorme pression sur les médecins de famille, provoquant parfois des attentes interminables pour avoir accès aux soins. En effet, un rapport en 2014 démontre que le Canada se classe dernier dans les 11 pays de l’OECD en terme d’attente pour voir un médecin de famille. Les autres rapports des années précédentes rapportent également que, règle générale, le temps d’attente pour voir un spécialiste ou pour subir une chirurgie est également plus haut que la moyenne des pays de l’OECD. À cela, s’ajoute la dure réalité que seulement 68 % des Québécois ont accès à un médecin de famille. Avec son accès rapide à n’importe quel médecin, Taiwan est bien loin de cette réalité.

Il est bien difficile de synthétiser l’ensemble de mon apprentissage en si peu de mots, mais s’il y a une chose que nous avons à apprendre de ce fabuleux pays, c’est que l’échange d’idées entre pays est crucial pour l’innovation. Si nous désirons changer notre système de santé pour le mieux, il faut regarder ailleurs et prendre des leçons de nos voisins, comme Taiwan l’a fait il y a vingt ans.

Les participantes du programme d’échange CHSP, accompagnées des organisateurs du Shu-Zen College of Medicine and Management

Les participantes du programme d’échange CHSP, accompagnées des organisateurs du Shu-Zen College of Medicine and Management

Pour les lecteurs intéressés à en connaître davantage, notre groupe a rédigé un blogue qui raconte en détail notre échange à Taiwan.

Florence Ouimet, équipe 2015-2016
Florence Ouellet-Dupuis
Année Préparatoire, Université de Montréal

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