Entre 2000 et 2012, la consommation d’opiacés d’ordonnance a augmenté de 182 %1 au Québec. Prenant en compte qu’environ 5 % des patients en deviendront accros par la suite2, je me suis entretenue avec docteure Lise Archibald, omnipraticienne ayant orienté sa pratique vers le traitement des dépendances. Voici un coup d’œil sur cette facette peu connue de la médecine.
Clientèle
À l’aube de la retraite, Dre Archibald a observé des cohortes bien distinctes de personnes consommant des opioïdes au fil des ans, les dernières étant notamment influencées depuis quelques années par la prescription plus répandue de cette classe de médicaments pour le traitement des douleurs chroniques non cancéreuses. Alors qu’il y a 15 ou 20 ans, la plupart des patients étaient des poly-toxicomanes, consommateurs d’héroïne ou d’opioïdes achetés sur le marché noir, elle traite maintenant des patients atteints de maladie chronique, des gens venant de toutes strates de la société et de tous âges qui reçoivent des prescriptions d’opioïdes et qui en deviennent dépendants. Les personnes dépendantes aux opioïdes médicamenteux représentent désormais un échantillon normal de la population, bien loin du stéréotype que ce programme s’adresse simplement aux individus marginalisés!
Cette clientèle est toutefois exigeante en terme de temps, les médecins s’y consacrant ne pouvant voir en moyenne qu’une dizaine de patients par jour. Il faut savoir que le suivi de cette clientèle exige de nombreuses liaisons, que ce soit avec des pharmaciens, médecins, agents de probation, intervenants DPJ et personnel hospitalier ou de maisons de thérapie. La rédaction d’une prescription de méthadone ou de Suboxone répond à des exigences légales rigoureuses qui exigent aussi du temps. De plus, les toxicomanes ont une prévalence d’environ 60 à 65 % de comorbidités de troubles mentaux. Les troubles de la personnalité sont surreprésentés, en particulier les troubles de la personnalité limite et antisocial. Du côté santé physique les problèmes sont nombreux, mentionnons ceux reliés au mode de consommation par injection (80 % des patients): VIH, hépatites, abcès, phlébites, etc. Il est donc primordial de voir le patient dans sa globalité et de s’entourer d’une bonne équipe.
Formation
L’obtention du permis de méthadone est assez aisé à obtenir. Il s’agit en fait d’une formation d’une journée offerte par l ’INSPQ quelques fois par année, selon la demande. Le permis est octroyé par Santé Canada sur recommandation du Collège des médecins. Il doit être renouvelé aux trois ans pour les médecins ayant une expertise dans le domaine. En plus, il est possible d’avoir accès à un mentorat téléphonique auprès d’un médecin expert. De surcroit, les médecins devant hospitaliser des patients en traitement de substitution avec la méthadone peuvent demander une dérogation temporaire de deux mois. Ceci est primordial à la continuité du traitement, car l’arrêt brusque de cet opiacé entraine subséquemment un sevrage.
Traitement de substitution avec la méthadone et la Suboxone
Médicament bien documenté depuis 1964 et considéré comme le traitement de choix pour la dépendance aux opioïdes, la méthadone est disponible à Québec depuis 1997. Elle est maintenant très populaire auprès de la population ayant une dépendance aux opioïdes qui désirent arrêter de consommer. Il faut augmenter progressivement les doses à chaque semaine en raison du profil de sécurité très étroit du médicament. Cela prend habituellement de nombreuses rencontres avant de trouver celle qui convient au patient. Une fois que la dose optimale est obtenue, le traitement peut être maintenu à vie. Pour les patients désirant cesser le traitement il faut diminuer tranquillement le dosage pour éviter les effets néfastes du sevrage. Cette dernière partie peut prendre plusieurs mois et se compte parfois même en terme d’années. En effet, la dépendance aux opioïdes est avant tout physique. De surcroit, il y a aussi l’aspect psychologique qui représente un grand défi pour les consommateurs, spécialement le rituel de la seringue des personnes qui s’injectent.
Depuis 2008, un nouveau traitement est apparu à Québec : la Suboxone, soit de la buprénorphine en combinaison avec du naloxone, un antagoniste des morphinomimétiques. Ce médicament est beaucoup plus facile à prescrire, ne nécessitant que deux à trois visites avant d’obtenir le dosage requis pour le patient. De plus, les effets secondaires et les risques de dépression respiratoire et d’overdose sont nettement moindres qu’avec la Méthadone. Néanmoins, malgré les avantages de ce nouveau traitement, la rétention en traitement avec la Méthadone reste meilleure que celle de la Suboxone. De plus, la Régie de l’assurance maladie du Québec ne le paie malheureusement pas en première intention. En outre, en raison de sa forte affinité avec les récepteurs opioïdes, la buprénorphine peut provoquer un syndrome de sevrage rapide si le patient a consommé des opioïdes dans les dernières heures. Les consommateurs doivent donc être sobres 24 heures avant de commencer ce médicament, tâche qui peut être remarquablement ardue.
Le traitement de substitution a davantage une approche de réduction des méfaits ; les médecins agissent en tant que facilitateur plutôt que de sauveur. Bien que le traitement vise un arrêt définitif de la consommation des opioïdes et des autres drogues, il est toléré de consommer de façon occasionnelle, aspect très important pour plusieurs narcomanes qui désirent cesser les drogues à leur rythme et non de façon drastique. La consommation des autres drogues n’entraîne pas l’arrêt du traitement mais de l’aide psychosociale est offerte au patient dans le but de l’amener à cesser ses consommations.
Accès au traitement
L’accès au traitement est assez facile et rapide au Centre de réadaptation en dépendance de Québec (CRDQ), soit moins d’un mois en moyenne. Après une courte évaluation nursing et psychosociale, le patient est admis en traitement. Le CRDQ dispense ce traitement à 2 endroits soit au siège social (2525 chemin la Canardière) et dans un organisme communautaire, soit la maison de Lauberivière, pour la clientèle plus marginale et désorganisée. Les références proviennent soit des CLSC, médecins de famille, spécialistes ou patients eux-mêmes.
Somme toute, Dre Archibald relève que ce métier est passionnant et que les professionnels de la santé l’exerçant ont la chance d’accompagner leurs patients dans un des plus grands défis de leur vie!
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Léa Sanscartier
3e année du préclinique
Université Laval