Ce texte d’opinion n’engage que son auteure.
Cet automne se tenait, à Vancouver, l’annuel Congrès international sur le diabète, rassemblant plus de 12 000 participants, 350 conférenciers et quelques centaines de représentants d’organismes et de l’industrie pharmaceutique. Au total, plusieurs centaines d’heures consacrées exclusivement à la prévention, au diagnostic et la prise en charge du diabète et de ses complications. Devant l’ampleur grandissante de la maladie, il n’est pas surprenant que le congrès, mené par la Fédération Internationale du Diabète (IDF), s’illustre désormais comme l’un des évènements les plus importants en matière de santé.
Rappelons qu’on estime à plus de 238 millions la prévalence mondiale du diabète de type II, un chiffre amené à doubler d’ici 2050 selon les dernières tendances démographiques [1].
Le diabète, tout comme bon nombre de maladies chroniques, touche aujourd’hui en grande majorité les populations des pays en voie de développement. C’est d’ailleurs en Afrique et au Moyen Orient que sont estimées les plus importantes augmentations de victimes. En Afrique sub-saharienne, les derniers rapports publiés prévoient d’ici 30 ans un accroissement en prévalence de plus de 110% [1]. Sombre pronostic pour ces populations dont l’accès aux ressources demeure limité et dont les enjeux socio-économiques augmentent directement le risque de complications et de mortalité.
Devant de tels constats, le Congrès se présentait comme l’occasion idéale d’exposer les dernières avancées en matière de diabète, de discuter des stratégies de prévention et des possibilités thérapeutiques à adopter au plan international. Une opportunité qui a été malheureusement manquée.
Au final, on constate peu d’évolution depuis les 10 dernières années en matière de santé mondiale et des maladies chroniques. Mis à part quelques rares exceptions, les projets exposés et discutés lors du congrès ne s’appliquaient en rien aux populations des pays en voie de développement. Bien que les particularités culturelles soient reconnues dans le milieu, une grande majorité des projets présentés en font fi. On admet la variabilité ethnique des maladies chroniques, que le diabète se développe et évolue différemment chez les populations d’Inde, d’Afrique ou d’Amérique du Sud, mais notre manque flagrant de connaissances physiologiques et médicales empêche de proposer toutes solutions. Nos méthodes de prévention et nos thérapies s’appliquent, en somme, aux blancs d’Occident et la tendance n’est pas au changement.
D’où vient cet ethnocentrisme en recherche médicale? Qui blâmer pour la bouderie actuelle du milieu de la recherche par rapport aux réalités de santé internationale? Le mode de financement en recherche scientifique en est partiellement responsable. D’une part, les instances pharmaceutiques ont très peu à gagner chez le diabétique d’Afrique sub-saharienne. Les pays en voie de développement constituent un pauvre marché en recherche médicale, de par leur pouvoir d’achat limité. D’ailleurs, seulement 10 % de l’investissement en recherche et développement en santé s’adresse aux maladies dont souffre plus de 90 % de la population mondiale [2]. L’industrie pharmaceutique délaisse ainsi ses responsabilités sociales et internationales comme acteur principal en recherche en santé, jusqu’à même limiter l’accès des populations les plus vulnérables du globes aux médicaments essentiels.
Une tendance en recherche qui devrait être compensée par les institutions universitaires. Après tout, les universités ont des responsabilités et des redevances sociales. Elles sont directement impliquées dans l’innovation et le déploiement de la recherche pour le bien public. Mais la réalité est tout autre. Le sous financement des chercheurs en milieu académique leur lie les mains à l’industrie et les poussent à travailler en fonction du marché.
La programmation du congrès international de l’IDF témoigne finalement de ce qui constitue l’une des plus grandes injustice en matière de santé internationale. Les populations les plus vulnérables du globe souffrent d’un accroissement monstre des maladies chroniques, une pandémie de diabète et de maladies cardiovasculaires guette l’Afrique et l’Asie du Sud-Est sans même que l’on s’attarde à mieux comprendre et reconnaître les particularités de ces populations menacées. Il semble que les différences ethniques et l’accessibilité aux soins de ces populations ne soient pas, pour le moment, une priorité dans le milieu de la recherche médicale.
Certes, la recherche est sous financée et avance à petit pas. N’en reste pas moins que la lutte contre les maladies chroniques des pays en voie de développement demande une attention particulière. Cliniciens, étudiants et chercheurs devraient être mieux informés quant aux réalités de santé mondiale et ce, via la formation universitaire et une programmation plus responsable des congrès internationaux tel que celui de l’IDF. Mais critiquer cet ethnocentrisme, c’est de finalement avouer ce que bon nombre de chercheurs en santé refusent d’entendre : en recherche aussi, certains malades valent plus que d’autres.
Fannie Lajeunesse Trempe
Candidate à la maîtrise en sciences biomédicales, Université de Montréal
Externe en médecine, Université de Montréal
[1] Aguiree F, Brown A, Cho NH, Dahlquist G, Dodd S, Dunning T, Hirst M, Hwang C, Magliano D, Patterson C, Scott C, Shaw J, Soltesz G, Usher-Smith J, W. D. (2013). IDF Diabetes Atlas: sixth edition. Basel, Switzerland: International Diabetes Federation.
[2] Universities allied for essential medicine. Our Issues [consulté le 27 janvier 2016]