Chronique 2 : Jacques Ferron : médecin, écrivain, critique
Pour cette deuxième édition de ma chronique littéraire, la Dre Nicole Audet a accepté de se prêter au jeu de l’entrevue sur une œuvre qui l’a particulièrement marquée. Dans son cas, au lieu d’un seul ouvrage, c’est plutôt l’œuvre entière d’un auteur qu’elle voulait présenter : celle du Dr Jacques Ferron.
Mais avant de se lancer dans le vif du sujet, voici un rapide portrait de l’interviewée. Nicole Audet a complété son cours de médecine à l’Université de Sherbrooke en 1981. Elle a ensuite pratiqué la médecine de famille pendant deux ans à Rouyn-Noranda, puis à Thetford-Mines, avant de déménager à Montréal. Elle a également enseigné la médecine familiale et a réalisé une maitrise en pédagogie des sciences de la santé à l’Université Laval. En parallèle de ses nombreuses autres implications, elle a été rédactrice en chef du Médecin du Québec de 2006 à 2008.
Elle sort à peine de l’enfance quand elle découvre la littérature de Jacques Ferron. « Un libraire, à qui j’avais demandé comment on fait pour écrire des livres, m’avait donné un livre de contes écrit par le Dr Jacques Ferron. Je me souviens, un des contes s’appelait Mélie et le bœuf [publié dans Contes de Jacques Ferron]. » Dans cette histoire, la grenouille Mélie demande au bœuf comment elle doit faire pour devenir comme lui. On vous laisse le plaisir de découvrir la suite ! Impressionnée par cette histoire, la Dre Audet dévore les nombreux autres contes du médecin-écrivain, certaines mettant en scène des animaux dans le style des Fables de La Fontaine, d’autres plutôt des personnages humains, toujours dans l’optique de susciter la réflexion en plus de divertir. Après cette série de contes, elle passe au roman La charrette. La jeune lectrice trouve à l’époque, et encore aujourd’hui, que le roman autant que les contes sont particulièrement bien écrits, et que leur intrigue et leur fin surprenantes sont ce qui contribue le plus à leur intérêt. De l’admiration des écrits, elle passe vite à l’admiration de l’écrivain Jacques Ferron. Elle sait qu’il est médecin, donc la carrière qu’elle doit choisir lui semble évidente. « À 10 ans, j’ai pris la décision d’être médecin et écrivain. » Mission qu’elle a menée à terme puisqu’elle a aujourd’hui publié une vingtaine de livres.
Elle commence en participant à des livres de médecine : d’abord un manuel d’épidémiologie publié par l’Université Laval, puis un livre sur la méthode de lecture de la littérature médicale, Lire ou ne pas lire, publié par la FMOQ. Puis elle se rapproche davantage du grand public en publiant chez Guy Saint-Jean Éditeur un guide santé sur les décisions à prendre face à des symptômes ou traumatismes communs. « Pendant que j’écrivais ce livre-là, j’avais toujours mon vieux rêve d’écrire des livres pour enfants. J’ai toujours été fascinée par la littérature enfantine. Alors c’est ce que j’ai fait. J’ai écrit une série, Félix et Boubou, qui compte 8 livres, et qui explique la médecine aux enfants avec 9 petits personnages magiques. » Elle a aussi tenté l’aventure de l’autoédition pour publier des versions anglophones de ses livres aux États-Unis. Elle relève apparemment très bien le pari de l’autopromotion puisqu’elle a remporté, au cours des deux dernières années, une quinzaine de prix littéraires internationaux pour ses livres adressés à un jeune public. Elle envisage davantage de continuer dans cette veine que dans celle des livres académiques, y voyant une manière plus ludique d’exercer la pédagogie et d’enseigner les rudiments de la médecine.
Un autre aspect de la personnalité de Jacques Ferron qu’elle a apprécié en le découvrant dans sa jeunesse, c’est son esprit critique. Même si elle se reconnait moins dans le côté rebelle et frondeur du fondateur du parti Rhinocéros, elle admet qu’il a probablement influencé sa découverte de la lecture critique — sujet vers lequel elle revient souvent elle-même. « Les livres que j’écrivais concernaient l’initiation à la lecture critique. Une des missions que je me donne est d’initier les enfants à la lecture critique. Quand tu lis quelque chose, remets-le en question, pose-toi des questions, ce n’est peut-être pas toujours vrai. »
Même si sa lecture de Jacques Ferron est plutôt loin derrière elle, Dre Nicole Audet n’hésite pas à le recommander aux étudiants en médecine d’aujourd’hui. « On n’est pas obligés d’être d’accord avec ce qu’il a fait, mais juste de savoir qu’il a existé, qu’il a fait une œuvre. » Cette dernière, en plus de permettre de découvrir de manière vivante la pratique de la médecine à une autre époque du Québec, foisonne aussi d’images fortes et d’une sorte de magie qui peut plaire à tous les âges. Dans la lignée des histoires plus symboliques, Dre Audet parle de ce qu’on appelle des « contes pour hommes d’affaires » [business tales], dont Animals, « le livre le plus drôle que j’ai lu de toute ma vie », ainsi que Qui a piqué mon fromage ? Ces histoires courtes et efficaces, souvent des fables sur l’adaptation au changement, lui rappellent également ce qu’elle a apprécié de l’œuvre de Jacques Ferron. De lui elle partage aussi l’amour de la liberté. Jacques Ferron a dit qu’il serait son propre mécène, et Dre Audet, elle aussi, profite des possibilités créées par une carrière en parallèle de son œuvre littéraire. « C’est certain que ça me laisse totalement libre d’écrire ce que je veux, comme je veux, où je veux. Je n’ai pas de pression. » Ses patients sont-ils au courant de sa vie littéraire ? « Les gens le savent, des fois ils m’ont vu dans le journal, ils ont vu mes livres. Ça arrive qu’ils m’en parlent directement. » Il est parfois difficile de concilier ses deux passions, surtout en termes de temps disponible, mais quoi qu’il en soit elle persiste et signe, avec de nombreux projets qui continuent de les faire s’entrecroiser.
La suite de ma discussion avec Dre Audet a concerné l’inspiration fournie par les modèles que l’on admire, la plupart du temps des enseignants. Elle est bien placée pour parler, elle qui a rencontré alors qu’elle était encore sur les bancs de la petite école son professeur en ambition — même s’il était d’encre et de papier plutôt qu’en chair et en os. Bien que leurs œuvres soient différentes, tout comme leurs trajets et leurs époques, il reste possible de distinguer la filiation entre ces deux médecins-écrivains que sont Jacques Ferron et Nicole Audet. Je vous souhaite de trouver un moment de pause entre deux blocs d’étude pour savourer les histoires de l’un et de l’autre !
Frédéric Tremblay
Étudiant de 2e année
Université de Montréal au campus de Montréal
Cet article utilise l’orthographe moderne recommandée.