Le village de Salluit au Nunavik
Photo : Pascale Laveault-Allard
Quand le CLSC du village de Salluit ferme ses portes à 17h, le médecin de garde, lui, n’a pas terminé sa journée ; son travail se poursuivra toute la nuit… à distance. J’ai eu la chance de m’entretenir avec Dre Sophie Maffolini, médecin de famille, pour discuter des avantages et des difficultés de ce type de pratique.
Pour contextualiser la pratique nordique, il faut mentionner que chaque municipalité dispose d’un CLSC où travaille minimalement une infirmière, mais parfois également un médecin et une sage-femme, pour assurer la clinique sans rendez-vous, les urgences et les suivis. En dehors des heures d’ouverture du CLSC, une infirmière de garde s’occupe des urgences et peut contacter à tout moment le médecin de garde par téléphone si la situation se complique. Le hic ? Le médecin de garde peut aussi bien se trouver dans un autre village.
Si la pratique médicale dans le Nord est déjà très dépaysante, les gardes à distance y ajoutent certainement une difficulté supplémentaire. La faible densité de population rend difficile l’accès à un médecin, surtout la nuit et les fins de semaine ; c’est pourquoi il y a toujours un médecin de garde qui couvre toute la côte de la Baie d’Hudson. Concrètement, l’infirmière de garde évalue d’abord le patient à l’aide d’une anamnèse et d’un examen physique complet, puis contacte le médecin sur la ligne d’urgence, que ce soit pour son avis, une prescription, un transfert ou même une consultation par visioconférence. La télémédecine est tout particulièrement utile pour faire des échographies d’urgence à distance et pour aborder des patients avec des problèmes psychiatriques aigus. Cette méthode permet de réduire le nombre de transferts en avion et évite à la fois des coûts pour le système de santé et des déplacements inutiles, parfois traumatisants, pour le patient. Si la situation le nécessite, le médecin peut décider de transférer le patient vers l’hôpital de Puvirnituq.
La médecine à distance apporte toutefois certains défis. Comme le médecin de garde change toutes les 24 heures, le suivi du patient est plus difficile et, s’il y a transfert, c’est alors le médecin de garde de l’hôpital de Puvirnituq qui prend le patient en charge. Il n’y a pas non plus de laboratoires dans les villages ; les échantillons doivent être expédiés par avion et il faut compter 24 heures pour obtenir des résultats, ce qui complique l’élaboration d’un diagnostic. Le médecin se tourne alors vers l’anamnèse et l’examen physique minutieux de l’infirmière et vers la seule modalité d’imagerie disponible : l’échographie d’urgence. Ce type de pratique implique par conséquent une grande collaboration entre les médecins de garde et le corps infirmier dans les villages. Il faut souvent se fier au jugement clinique des infirmières et savoir leur poser les bonnes questions pour avoir une pleine compréhension de la situation. Malgré la télémédecine, l’évaluation reste moins objective que celle d’un entretien en personne ; la relation médecin-patient s’en trouve diminuée. Il peut alors devenir complexe d’évaluer les patients, surtout la clientèle gériatrique chez qui l’anamnèse est parfois plus ardue. En fin de compte, le rôle du médecin de garde est d’assister l’infirmière dans sa prise en charge du patient et de prendre la décision de transférer ou non le patient.
Malgré les difficultés de la télémédecine, il n’en reste pas moins que c’est une méthode extrêmement efficace pour assurer la couverture d’un large territoire peu peuplé. Ainsi, tout le monde a accès à un médecin par un simple coup de fil, même dans les plus petits villages. Cette pratique a aussi l’avantage d’utiliser pleinement les capacités des infirmières, qui font un travail équivalent à celui d’un résident. Le médecin devient alors davantage une ressource de deuxième ligne. Il a également l’avantage de pouvoir faire sa garde à la maison. Il se présentera au CLSC si les consultations nécessitent une visioconférence ou bien si une urgence majeure, comme un trauma ou un arrêt cardiorespiratoire, survient dans son propre village.
À la particularité des gardes à distance s’ajoute le contexte intrinsèque du Nord québécois : pratique en milieu autochtone, rareté des ressources médicales, problématiques psychosociales, plus grande incidence de traumatismes et de maladies infectieuses, etc. Or, le Nord, c’est aussi des paysages époustouflants, la découverte d’une nouvelle culture ainsi qu’une pratique incroyablement diversifiée et stimulante !
Merci à Dre Sophie Maffolini pour sa contribution à cet article.
Pascale Laveault-Allard
Étudiante de 2e année à l’Université Laval
Cet article utilise l’orthographe moderne recommandée.