Les soins palliatifs font partie d’une spécialité de la médecine qui diffère des autres par la priorité des soins médicaux : celle des soins de confort avant tout. L’objectif n’est plus curatif; c’est la fin des soins actifs.
Dans le cadre du cursus obligatoire de l’externat, j’ai effectué un stage de soins palliatifs durant lequel j’ai été amenée à me questionner sur le rapport que l’on entretient avec la mort en tant que professionnels de la santé. À travers ces questionnements, ce qui m’a le plus surprise, c’est ma propre réaction face à ce que je voyais.
L’hypocrisie est décrite dans la littérature comme étant un comportement par lequel on exprime des sentiments, des opinions que l’on n’a pas, que l’on n’approuve pas. Oui. Je me suis sentie hypocrite à de multiples reprises face à mes patients en soins palliatifs. Ces derniers que j’écoutais. J’entendais chaque mot et j’essayais d’en comprendre tous les sens. On dit que c’est cela, l’empathie : se mettre à la place de l’autre. L’objectif de l’empathie, dit-on, c’est la compréhension. On peut essayer de comprendre, de visualiser, me direz-vous, mais qu’est-ce qu’on en comprend vraiment? N’est-il pas sournois de se dire empathique envers une personne qui sait qu’elle va mourir, qui l’attend et qui se voit dépérir de jour en jour?
La mort et moi, on ne s’est pas rencontrés, on ne s’est pas frôlés. Par contre, je crois qu’il serait vrai de dire qu’on s’est imaginés.
Le matin, on s’éveille au bruit de nos réveil-matins, on court se préparer pour débuter sa journée. Une journée qui passe vite. En effet, le matin, on s’empresse d’avaler son café, puis on court au travail. Au travail, ça passe encore bien vite. En effet, il y a les réunions, les conversations futiles, puis vient le dîner. Apprécie-t-on ce qu’on mange? Est-ce qu’on prend le temps de manger? À quand remonte la dernière fois où vous avez été reconnaissant de la nourriture devant vous? Où encore, d’être reconnaissant d’avoir la capacité de manger? Après avoir mangé, il reste l’après-midi, puis encore une fois, très vite, le retour à la maison. On marche alors vers son nid. On marche vite d’ailleurs. Pourquoi? Pour ne pas perdre de temps. À Montréal, les embouteillages font partie du quotidien et beaucoup de frustrations fusent sur les routes. Le soleil est haut dans le ciel. C’est l’été et il y a une douce brise. L’a-t-on remarqué? Et à ce moment-là, quand ça va moins vite, on se remplit alors la tête de musique, de radio, de médias sociaux pour ne pas sentir ce temps. Un temps mort. À la maison. Extase? Non, on continue de courir, beaucoup à faire, à prévoir. Puis vient le temps de dormir, et là, quand ça ne va pas, le temps avant de dormir est long. Il y a, encore une fois, un temps mort.
Je me sens hypocrite, car la description caricaturale d’une journée-type faite ci-haut s’inspire de mon train de vie. Je me sens hypocrite, car à mon sens, le simple fait de rencontrer ces gens qui savent qu’il leur reste peu de temps devrait me sensibiliser au temps que j’ai. Ainsi, je devrais agir en conséquence. Me rappeler la fragilité de la vie et toute l’importance du moment présent. Et pourtant, il m’arrive d’oublier de vivre comme s’il n’y avait pas de lendemain.
Je me sens hypocrite, car je suis une survivante d’un cancer du sein. Moi, j’ai survécu. J’ai battu mon cancer. La mort et moi, on ne s’est pas rencontrés, on ne s’est pas frôlés. Par contre, je crois qu’il serait vrai de dire qu’on s’est imaginés. Et c’est d’ailleurs pour cette raison que je me sens hypocrite face à ces personnes qui savent à quel point la mort est en chemin et qu’elle avance en ligne droite.
Je me sens hypocrite, car mon corps a souffert suite à cette chimiothérapie. Mais il s’en est remis. Il ne garde d’ailleurs que quatre cicatrices et deux prothèses de silicone. Contrairement à ce que je vois à l’étage. Je pense à mes patients amaigris qui m’énumèrent les types de chimiothérapies reçues, leurs nombreuses cicatrices, leurs douleurs et leurs incapacités présentes.
Je me sens hypocrite, car je ne veux pas mourir. Durant la courte période de temps où je les accompagne sur le chemin vers la mort, ils me parlent du cancer. Ils me parlent du fait que le cancer est revenu cette fois et que c’est lui qui a gagné, m’amenant à penser au mien. Quand va-t-il revenir? Va-t-il revenir?
Je me sens hypocrite, car je sais que ce pourrait être moi, un jour, et tous les jours j’y pense. Je me sens hypocrite, car il m’arrive de vouloir arrêter d’essayer de les comprendre.
Nadia Abdessettar
Étudiante en 4e année
Université de Montréal (campus Montréal)