Les cancers de peau, qu’il s’agisse de carcinomes basocellulaires, de carcinomes épidermoïdes ou des mélanomes, peuvent être de vrais casse-têtes à différencier dans le cadre d’un examen physique effectué par un médecin de famille. Est-ce un nævus bénin, atypique ou malin (mélanome)? Est-il nécessaire de faire une biopsie? Est-ce que mon patient devrait être référé en dermatologie? Il s’agit de questions légitimes et nécessaires à la prise en charge d’une lésion cutanée pigmentée chez un patient. Par contre, les médecins de famille sont-ils assez outillés pour répondre avec confiance à ces mêmes questions?
Afin de répondre à mes interrogations, je me suis entretenue avec Dre Marie-Josée Filion, médecin de famille ayant un intérêt en dermatologie qui pratique présentement au GMF-U Quatre Bourgeois.
Présentement, les médecins de famille font l’examen d’une lésion cutanée pigmentée à l’œil nu. Plusieurs techniques sont utilisées afin de dépister une lésion potentiellement maligne et afin de différentier un nævus d’un mélanome.
Une des techniques utilisées est le « signe du vilain petit canard ». Le « signe du vilain petit canard » se base sur le principe que les nævi sur la peau d’une personne se ressemblent tous. Alors, lorsqu’une lésion ne ressemble pas aux autres, il y a des risques qu’elle soit cancéreuse.
Une autre technique très connue est d’utiliser les critères de l’ABCDE. Avec cette méthode, la lésion est analysée en fonction de certains critères : si la lésion est asymétrique, a une bordure irrégulière, a plusieurs couleurs, a un diamètre de plus de 6 mm et évolue (changement de taille et d’apparence). La présence de ces critères oriente vers un mélanome plutôt que vers un nævus bénin. La présence de quelques-uns de ces critères oriente vers un nævus atypique ou, encore une fois, vers un mélanome.
Souvent, les médecins de famille se contentent de ces deux dernières techniques. En cas de doute, il est possible de faire des biopsies afin de clarifier la nature de la lésion pigmentée ou bien de référer en dermatologie. Mais les listes d’attente sont souvent longues.
Par contre, il existe une technique supplémentaire permettant de spécifier le diagnostic ou de confirmer les suspicions; il s’agit de la dermatoscopie (aussi appelé dermoscopie). Largement utilisée par les dermatologues, la dermatoscopie est toutefois probablement moins utilisée par les médecins de famille. En résumé, un dermatoscope est une loupe illuminée (avec un agrandissement d’environ x10). Après avoir fait l’examen à l’œil nu d’une lésion pigmentée, un examen au dermatoscope permet de détecter certaines structures ou des détails sous l’épiderme impossibles à voir à l’œil nu. En plus de pouvoir différencier un nævus bénin d’un mélanome en analysant la structure des réseaux de pigments, la dermatoscopie est aussi très utile afin de reconnaitre les carcinomes basocellulaires et les carcinomes épidermoïdes qui ont chacun des caractéristiques bien spécifiques. Plusieurs types de lésions bénignes peuvent aussi être reconnues à l’aide d’un dermatoscope lorsque l’examen à l’œil nu n’est pas assez convaincant, telles que les kératoses séborrhéiques, les dermatofibromes, les lentigos solaires, etc.
Malgré le fait que la dermatoscopie ne permette pas toujours de conclure à un diagnostic, cette technique permet toutefois de resserrer le diagnostic différentiel et d’éviter des biopsies non nécessaires. Tel qu’expliqué dans le Canadian Family Physician :
« L’une des façons de déterminer si la dermoscopie s’applique à la pratique clinique est d’évaluer les taux d’excision de lésions soupçonnées à la suite d’un examen à l’œil nu seulement par comparaison à ces mêmes taux après l’examen à l’œil nu combiné à la dermoscopie. Une étude randomisée auprès de dermatologues formés en dermoscopie a révélé une réduction de 42 % du nombre de biopsies inutiles par rapport à l’utilisation d’un examen à l’œil nu seulement1. »
Cette réduction du nombre de biopsies inutiles est très intéressante. Par contre, comme le spécifie ce même extrait, cette technique doit être effectuée par un médecin formé en dermatoscopie, ce qui n’est présentement pas le cas des médecins de famille.
Selon Dre Filion, il existe plusieurs stratégies afin d’introduire la pratique de la dermatoscopie en médecine familiale. Il serait pertinent que ceux et celles qui le désirent aient accès à une formation supplémentaire afin d’utiliser le dermatoscope. Il serait aussi possible de former au moins 1 patron par GMF, ce qui permettrait, progressivement, d’exposer les résidents en médecine familiale à l’enseignement de la dermatoscopie.
Aussi, Dre Filion a introduit l’idée d’une formation orientée en dermatoscopie, au même titre que les médecins de famille peuvent avoir une formation en échographie au département d’urgence (ÉDU). Cette formation orientée permettrait aux médecins de famille d’avoir des lignes directrices et des critères précis dans leur pratique.
Par contre, l’obstacle rencontré présentement par les médecins de famille intéressés à utiliser le dermatoscope est qu’il ne semble pas y avoir de formation organisée accessible. En effet, après confirmation, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) n’est pas en mesure de dire s’il existe une telle formation en dermatoscopie pour les médecins de famille ayant un intérêt en dermatologie.
Donc, en conclusion, plusieurs stratégies sont possibles afin d’améliorer la prise en charge de lésions pigmentées dans la pratique de la médecine familiale. Ces stratégies permettront de différencier plus facilement les différents types de lésions cutanées, ce qui favorisera une diminution des biopsies inutiles pour les patients, mais aussi une rassurance et une confiance augmentées chez les médecins de famille. De plus, comme avantage supplémentaire, il pourrait y avoir une diminution des demandes de consultation en dermatologie, département qui est présentement engorgé. Il serait donc intéressant qu’une formation en dermatoscopie soit offerte aux médecins de famille qui le désirent afin d’élargir leur champ de compétences et d’offrir l’opportunité d’une pratique de la médecine familiale encore plus diversifiée.
1 La dermoscopie pour la détection des mélanomes en pratique familiale, MFC
Ariane Thibault
Étudiante en 3e année, Université de Sherbrooke