Elle tue 15 fois plus que toutes les guerres et autres formes de violence réunies. Trois fois plus que le SIDA, la tuberculose et la malaria combinés. Plus que le tabagisme, l’alcoolisme, la malnutrition, l’obésité et les accidents de la route. Elle est la première cause de mortalité dans le monde : la pollution.
Le sujet de l’heure
En octobre dernier est paru le rapport de la Commission sur la pollution et la santé dans le journal The Lancet. Il s’agit du plus grand et du plus solide travail de recherche scientifique réalisé jusqu’à présent sur la corrélation entre la santé et la pollution. Le constat est alarmant : la pollution se positionne loin devant toutes les autres causes de mortalité, ayant causé 9,6 millions de morts en 2015 – soit 16 % des décès prématurés à travers le monde.
De plus, la pollution et le réchauffement climatique sont intrinsèquement liés. Il y a quelques jours, un autre cri d’alarme a été lancé via un manifeste publié dans BioScience, signé par plus de 15 000 scientifiques provenant de 184 pays. Cette déclaration met en garde contre l’extinction de masse que nous avons générée en réchauffant le climat de la planète : la sixième en 540 millions d’années. Ce manifeste fait suite à un premier, signé en 1992 par 1700 scientifiques, qui souhaitait dénoncer la gestion non durable des ressources. Force est de constater que les 25 ans qui ont séparé ces deux manifestes n’ont pas été porteurs de bonnes nouvelles. Au contraire, entre 2000 et 2017, une augmentation de 46 % des désastres environnementaux a été constatée.
Par ailleurs, l’administration Trump, pourtant climatosceptique, vient de publier dans un rapport fédéral sur le climat l’étude du US Global Change Research Program qui conclut à un réchauffement alarmant de la planète dont l’activité humaine est la principale cause.
Au Canada
La pollution représente un enjeu majeur de santé publique au Canada. Selon l’Association médicale canadienne, la pollution de l’air à elle seule a été responsable de 21 000 décès prématurés, de 92 000 visites aux urgences et de 620 000 consultations médicales au Canada en 2008. Ce sont pas moins de 700 000 Canadiens qui pourraient décéder de la pollution atmosphérique en 2031. Parmi les conséquences de la pollution figurent des maladies pulmonaires (asthme, allergie, maladie pulmonaire obstructive chronique), cardiaques (angine de poitrine, arythmie, infarctus, insuffisance cardiaque, hypertension), neurologiques (accident vasculaire cérébral, troubles de développement cognitif, problèmes de santé mentale) et hormonales (diabète).
Tout ceci a un cout. Une étude réalisée en juin indique que les couts directs de la pollution s’élèvent à près de 39 milliards de dollars par an au Canada, un chiffre déjà énorme, mais qui pourrait être extrêmement sous-estimé selon les auteurs du rapport.
Il s’agit également d’une question de justice sociale. Ce sont les populations les plus vulnérables qui sont touchées par les problèmes de santé liés à la pollution : les enfants, les ainés, les minorités et les personnes marginalisées. Dans les pays à PIB élevés, dont le Canada fait partie, les personnes défavorisées sont jusqu’à trois fois plus susceptibles de succomber à la pollution.
En tant que citoyens, nous devons sortir nos têtes du sable pour modifier nos habitudes de vie. Si tous les êtres humains vivaient au standard de vie des Canadiens, il faudrait 5 à 6 planètes pour subvenir à nos besoins.
De surcroit, contrairement à la croyance populaire, la prévention environnementale peut s’avérer très rentable. À titre d’exemple, aux États-Unis, pour chaque dollar investi dans la lutte contre la pollution atmosphérique depuis 1970, trente dollars ont été économisés. Ceci correspond aujourd’hui à un bénéfice économique faramineux estimé entre 1000 à 5000 milliards de dollars étatsuniens. Par contre, la lutte contre la pollution nécessite des volontés citoyenne et politique qui ne sont pas encore à la hauteur de la gravite du problème.
Comment faire notre part ?
Tout ceci peut sembler pessimiste, mais il y a toujours de l’espoir.
En tant que citoyens, nous devons sortir nos têtes du sable pour modifier nos habitudes de vie. Si tous les êtres humains vivaient au standard de vie des Canadiens, il faudrait 5 à 6 planètes pour subvenir à nos besoins. Nous vivons clairement au-dessus ce que notre environnement peut supporter, avec le niveau élevé de pollution qui accompagne ce style de vie. Il est important de faire attention à notre empreinte écologique à travers une consommation responsable. À titre d’exemple, diminuer notre consommation de viande pourrait réduire en moyenne de 20 à 30 % notre utilisation d’eau, notre utilisation de terre et nos émissions de gaz à effet de serre selon un très récent rapport canadien.
En tant que futurs professionnels de la santé, nous nous trouvons dans une excellente position pour devenir des vecteurs de changements sociaux. Saviez-vous que, sur la seule recommandation de son médecin, 1 patient sur 20 arrêtera de fumer? Peu de professions ont autant d’impact sur les habitudes de vie de la population. Il est important que les professionnels de la santé usent de leur influence pour insister sur des mesures préventives auprès de leurs patients. Pourquoi la prévention? Parce que, 70% des maladies liées à la pollution étant chroniques, le diagnostic est souvent posé trop tard.
Se responsabiliser
Parmi les grandes victimes de la pollution, l’environnement et l’économie étaient déjà connus; la santé se forge maintenant une place solide à leurs côtés. La prochaine étape est la responsabilisation de tous à ce problème, qui est heureusement encore réversible pour l’instant. Comme David Suzuki le disait à ce propos :
Nous sommes dans une immense voiture qui fonce à toute allure vers un mur de briques et tout le monde se dispute pour savoir où il va s’asseoir.
Chacun d’entre nous fait partie du problème, mais chacun d’entre nous peut également faire partie de la solution.
Gaël Chetaille
Étudiant de 2e année
Université Laval
Références
The Lancet. Commission Lancet sur la pollution et la santé, 19 octobre 2017.
The Lancet Countdown on Health and Climate Change. Lancet Countdown Report.
Olivier, Fannie. La pollution coûte annuellement 4300 $ par famille, selon une étude. Radio-Canada. 1er juin 2017.
Ryan, Joe. Trump Administration Issues Report Confirming Global Warming. Bloomberg. 3 novembre 2017.
Saad D, P-Desrosiers C, Barbeau-Meunier CA, et al. Santé et pollution : il est temps de changer d’air. Ricochet. 26 octobre 2017
Santé Canada. Les effets de la pollution de l’air sur la santé. Dernière mise à jour : 16 novembre 2017 (accès le 23 novembre 2017).
Shields, Alexandre. L’air tue les Canadiens à petit feu. Le Devoir. 14 août 2008.
Shields, Alexandre, L’humanité court à sa perte, préviennent 15 000 scientifiques à travers le monde. Le Devoir. 14 novembre 2007.
Vogel, Lauren. Climate change is already making us sick. CMAJ. 2 novembre 2017.