« Et pourtant, vous n’êtes qu’un médecin de famille. Comment est-ce possible? Avez-vous fait une formation spécialisée pour devenir aussi compétent dans votre domaine? »
« Mais pourtant, ce sont les spécialistes qui reçoivent les consultations de votre part… Cela me semble plutôt incompatible avec le système de santé tel que je le connais, mais vous arrive-t-il également d’être demandé en consultation par vos collègues spécialistes? »
« Il est vrai que dans la majorité des situations, vous devez vous sentir rapidement plus compétent que votre collègue spécialiste puisque la situation sort rapidement de son champ d’expertise alors que le vôtre reste très large. Vous arrive-t-il parfois d’être fier d’être un médecin de première ligne? »
Oui.
Oui.
Et toujours.
Une expérience personnelle.
Lors d’une formation en Advanced Trauma Life Support. Plusieurs médecins de première ligne présents, dont la plupart travaillent en urgence de région. L’une d’entre elles est médecin de famille depuis quelques années. Elle a changé de programme après avoir été R3 d’une discipline chirurgicale. Elle raconte son expérience décisive. Un patient en flutter auriculaire. Le médecin de l’urgence occupé par un autre patient. Et elle seule présente pour assurer la prise en charge. Et elle cherche, cherche, cherche encore. Dans son recueil de médecine interne. Par quel moyen peut-elle soulager le patient dans l’immédiat? Ce dernier la regarde d’un regard incrédule, criant dans son silence « Mais pourtant, vous êtes médecin ». Et elle de se dire : « Pour moi, ce n’est pas ma définition de “donner des soins” ». L’année d’après, elle devient résidente en médecine de famille.
Et qui, dans le monde médical, n’a jamais été dans un avion où une assistance médicale a été demandée. Je me retiendrai de nommer certaines spécialités (plusieurs?) dont les membres pourraient se sentir plutôt gênés de dire qu’ils sont médecins sans pouvoir gérer une syncope vagale, une bronchiolite ou une attaque de panique. Mais souvent, ces médecins spécialistes se reconnaissent et l’avouent en riant. Et ils ont bien raison. Chacun son domaine. À l’inverse, nous, nous sommes très contents de pouvoir faire appel à leur expertise et à leurs connaissances lorsque vient le temps de référer un patient chez qui nous avons épuisé toutes nos alternatives pour soulager le symptôme. Bien souvent, je l’avoue, je remplis la consultation avec un sourire en coin en me disant : « Y’ s’arrangera avec ».
Une autre expérience personnelle.
Lors d’une garde d’obstétrique. Dans une salle d’accouchement d’un hôpital secondaire. Aux côtés d’une gynécologue très compétente qui gère actuellement une patiente à risque de travail préterme venue à 28 semaines. Patiente connue pour une névralgie d’Arnold actuellement exacerbée. La patiente lui demande de soulager sa douleur en procédant à une infiltration. Amenée hors de son champ d’expertise, la gynécologue demande promptement une consultation à sa collègue médecin de famille qui gère au même moment trois autres accouchements sur le même étage. L’infiltration est complétée l’après-midi même, avec succès. La patiente la remercie. Mais se demande aussi pourquoi une consultation a été demandée à un médecin de famille…
Même si ce scénario ne semble pas instinctif, il arrive plus souvent qu’on ne le pense. Chacun son domaine d’expertise. Par ailleurs, oui, nous avons tous fait une formation aussi difficile, exigeante et spécifique que nos collègues chirurgiens et internistes. Je ne pourrais pas les remplacer sur les étages ou dans la salle d’opération le temps d’une journée puisque je n’ai pas les compétences nécessaires. Mais l’inverse est vrai aussi.
Moi, c’est ce qui m’attire le plus vers la médecine de famille. Le sentiment de pouvoir être utile, PRN, partout. Ou presque.
Pas nécessairement de pouvoir gérer les cas du début à la fin, mais au moins avoir l’occasion d’offrir des soins de première ligne en attendant les services spécialisés.
Encore récemment, j’avais une collègue qui appliquait au CaRMS et qui me demandait si dans mon milieu, nous voyions des cas médicaux complexes. Bien sûr, nous voyons des cas complexes. Mais en fin de compte, qu’importe? Avoir le sentiment d’avoir fait une différence chez le patient qui nous consulte n’est-il pas une source de satisfaction, peu importe la complexité de sa maladie? C’est en tout cas ma réflexion et c’est ce à quoi je me ramène tous les jours. Je n’aurai peut-être pas été exposé au cas rare de la surinfection résistante de la maladie génétique sur composante dégénérative et inflammatoire nommée en l’honneur du Dr Premier-du-Nom et dont le dernier cas recensé était à Madagascar en 1954. Mais j’aurai eu le sentiment d’être utile pour les patients que j’aurai vus durant ma journée.
« Ma foi, docteur, vous avez dû faire beaucoup de sacrifices pour vous rendre à votre niveau. Vous arrive-t-il parfois de regretter votre choix? »
Jamais.
Ou presque.
Dr Mathieu Hains
Résident en médecine de famille à l’Université de Laval
Membre du comité de la relève du CQMF