Lors d’un de mes stages en spécialité, je me suis entretenue pendant quelques minutes avec un de mes patrons au sujet des commentaires parfois mitigés des professionnels envers les médecins référents. Mon patron a souligné l’importance de respecter ses collègues et a ajouté : « En quelque part, ce sont les médecins de famille qui nous nourrissent. » Voici un exemple d’humanisme ainsi qu’une occasion de me questionner sur les collaborations intra- et interprofessionnelle. J’aimerais vous partager quelques-unes de mes réflexions à ce sujet.
La phrase de mon patron m’a fait réfléchir. Selon moi, cette phrase résume d’un côté le rôle du médecin de famille et de l’autre sa place parmi les différents professionnels de la santé qui collaborent pour fournir le meilleur service possible au patient.
Le médecin de famille – une force centrifuge et centripète
Dans mon imaginaire, le médecin de famille est à la fois une force centrifuge et centripète, un point de repère dans la prise en charge de son patient. En effet, la personne ayant besoin d’accès aux soins de santé se dirige en premier lieu vers l’omnipraticien. Ce dernier est au cœur de la santé de son patient tout en faisant partie d’un système plus grand; il est un carreau de la mosaïque du système de santé. Le patient a besoin de son médecin pour qu’il le guide et le réfère au besoin aux autres professionnels de la santé, (force centrifuge); mais, même lorsque référé à un spécialiste, le patient revient toujours vers son médecin de famille pour son suivi une fois l’épisode aigu résolu (force centripète).
Mon explication ne serait pas complète sans ajouter que la comparaison physique n’est pas parfaite : il ne faut surtout pas oublier que dans cet équilibre des forces, c’est le patient qui reste le centre de l’attention tout au long de sa relation avec son médecin. Le terme même de médecin de famille souligne le lien privilégié que cette profession entretient avec sa clientèle. La particularité de cette relation patient-médecin est la durée sur laquelle elle s’établit. Non pas sur quelques jours, semaines ou mois, mais sur des années, voire toute une vie.
Loin d’être une experte en physique, je trouve que cette comparaison résume bien le concept suivant : la force est partout et nulle part. Elle n’est pas un objet, mais la règle qui sous-tend l’existence des objets. Comme un médecin avec son patient : il devrait laisser le patient être la seule chose qu’on voit, tout en restant toujours présent dans l’ombre pour le soutenir. Selon moi, l’équilibre entre les forces centrifuge et centripète est au cœur d’une omnipratique de qualité.
La collaboration intraprofessionnelle
Par collaboration intraprofessionnelle, je veux parler de la relation entre deux professionnels du même secteur, par exemple, deux médecins (« intra : préfixe indiquant la présence à l’intérieur de quelque chose[1] »).
En reprenant l’exemple du premier paragraphe, un médecin qui fait un commentaire irrespectueux et peu constructif envers un collègue ne fait pas preuve de collaboration intraprofessionnelle. Au contraire, ce même commentaire pourrait porter préjudice au patient (s’il en prend connaissance) parce qu’il pourrait compromettre le lien de confiance entre celui-ci et son médecin.
Toutefois, si un médecin se rend compte qu’un collègue a fait une erreur, il serait important de lui faire part de ses commentaires, dans une optique de constante amélioration. Nous sommes tous des êtres humains et personne n’est à l’abri de faire une erreur. « Errare humanum est, perseverare autem diabolicum » (locution latine pour « L’erreur est humaine, l’entêtement [dans son erreur] est diabolique. » Un commentaire constructif de la part de son collègue peut devenir une précieuse occasion d’apprentissage.
La collaboration interprofessionnelle
Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la collaboration interprofessionnelle survient « lorsque de nombreux travailleurs de la santé ayant différentes formations professionnelles offrent des services complets en travaillant avec les patients, leurs familles, leurs soignants et les collectivités, afin de prodiguer les soins de la plus grande qualité possible dans différents milieux d’intervention[2], [3] ».
J’ai eu l’occasion de vivre la collaboration interprofessionnelle et d’observer son effet sur la qualité des soins prodigués aux patients lors d’un de mes stages en début d’externat en particulier, et ensuite tout au long de mon externat. J’ai été fascinée et surprise de voir à quel point ce type de pratique améliore le service offert au patient et permet un apprentissage continu aux professionnels. La pratique m’a appris que chaque professionnel de la santé complète la formation acquise auprès de mes patrons.
Collaborer pour apprendre tout au long de la vie
Socrate disait : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien.[4] » C’est une phrase qui résonne au quotidien en moi. Les personnes les plus inspirantes à mes yeux sont celles qui savent ne pas tout savoir. Celles qui ont l’humilité de l’admettre et de se poser des questions. Ces personnes sont des modèles pour moi : même quand je suis sure de ce que j’ai lu dans les livres, dans mes références d’étude et de pratique de la médecine, Socrate et mes modèles me rappellent qu’il y aura toujours quelques choses qui m’échappe. J’ai et j’aurai toujours quelque chose à apprendre, et voici où la collaboration intra- et interprofessionnelle entrent en jeu : collaborer pour mettre ensemble nos connaissances, créer toujours des nouvelles questions, trouver ensemble des nouvelles réponses. En un mot : apprendre.
Savoir ne pas savoir : un exercice d’humilité pour pouvoir atteindre des nouveaux objectifs. Plus on en connaît, plus on se rend compte à quel point on ne connait qu’une infime portion de ce qu’il y a à connaitre. Et l’exercice recommence.
Selon moi, la collaboration intra- et interprofessionnelle est très importante particulièrement en médecine de famille, et c’est dans cet état d’esprit que je souhaite pratiquer la médecine.
Stephanie Lio
Étudiante en médecine
Université de Sherbrooke
Campus Sherbrooke
Promotion 2019
[1] « Intra- », Larousse, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/intra-/43943?q=intra#43867
[2] « La collaboration interprofessionnelle », Association des infirmières et infirmiers du Canada, https://www.cna-aiic.ca/fr/pratique-soins-infirmiers/la-pratique-des-soins-infirmiers/ressources-humaines-de-la-sante/collaboration-interprofessionnelle#sthash.1ykWxXdU.dpuf
[3] « Framework for Action on Interprofessional Education & Collaborative Practice », World Health Organization, p. 13, http://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/70185/WHO_HRH_HPN_10.3_eng.pdf?sequence=1&isAllowed=y
[4] « Socrate », Cours de philosophie, (470-399) http://coursphilosophie.free.fr/philosophes/socrate.php