La santé en BD pour les salles d’attente

La santé en BD pour les salles d’attente

En santé jusqu’à la dernière ligne, une chronique par Frédéric Tremblay.

À travers cette chronique médicolittéraire, j’essaie de jeter des ponts entre les arts et les sciences, croyant que les deux solitudes ont avantage à se rapprocher. Je l’utilise habituellement pour céder la parole à des omnipraticiens et les laisser nous présenter un livre – roman, essai, quoi que ce soit – qui a marqué leur parcours en médecine. Pour cette première édition de l’année, j’aimerais cependant me permettre de présenter moi-même, pas un seul livre, mais une quantité conséquente de livres; pour ne pas dire tout un courant livresque.

Depuis un bon moment déjà, la bande dessinée, dépassant les « comiques » de notre enfance que sont Les aventures de Tintin, Astérix et Obélix, Les Schtroumpfs et Garfield, a commencé à flirter avec des sujets plus sérieux. Quand elle le fait en suivant une seule et même histoire sur plusieurs centaines de pages, et avec des images d’une qualité esthétique souvent supérieure, on parle plus justement de « roman graphique ». L’innovation la plus récente du roman graphique, c’est son alliance avec le courant littéraire pathographique ou autopathographique, dans lequel l’écrivain raconte une histoire tournant autour soit de la maladie de son personnage, soit de la sienne propre.

Pour cette chronique donc, je vous présenterai une petite dizaine de ces patho/autopathographies en images, qui sont tout aussi pertinentes pour des médecins désireux de se reconnecter sur le vécu du patient que pour ceux qui voudraient recommander à leurs patients – ou, pourquoi pas, laisser trainer dans leurs salles d’attente à côté des traditionnelles revues – des livres accessibles et plaisants à lire, qui permettent d’aborder des sujets médicaux plus efficacement que par un plat dépliant.

 


The Next Day
, de John Porcellino (non traduit)
Les dessins, minimalistes, forcent l’attention du lecteur à se concentrer sur le propos difficile mais nécessaire. L’histoire est celle de quatre survivants à une tentative de suicide presque fatale que l’auteur a interviewés – ceux qui regrettent de ne pas avoir attendu le jour d’après avant de passer à l’acte. En les faisant s’entrecroiser d’une manière et avec des mots qui donnent de la poésie au sujet sans le rendre romantique, le dessinateur insuffle à ces quatre récits une force révélatrice hors du commun sur ce qui se passe dans la tête de gens en crise suicidaire, que ce soit avant, pendant ou après.

 

Hop!, de Karine Gottot (version originale en français)
Un livre léger sur les petits désagréments d’un séjour en hôpital. On est ici, autant par l’absence de fil narratif que par les 84 pages, davantage dans la bande dessinée que dans le roman graphique, mais la lecture n’en reste pas moins utile pour un futur clinicien. Car on y présente toutes sortes de détails de la vie hospitalière qu’on finit par oublier quand on y passe sa vie comme professionnel, mais qui font la saveur de l’expérience-patient. Un moyen d’aborder avec humour un système de santé qui, parce qu’il est aussi gros qu’un continent, donne parfois envie à certains d’en rester aussi loin que possible.

 

Au coin d’une ride, de Thibaut Lambert (v. o. f.)
Parce que Georges, atteint de la maladie d’Alzheimer, est en perte d’autonomie de plus en plus prononcée, son conjoint Éric se rend à la conclusion qu’un transfert en maison de retraite s’impose. Mais la vie y est d’autant plus difficile que le directeur leur demande de cacher leur homosexualité pour ne pas troubler les autres résidents. La séparation, les défis de la vieillesse et de la maladie, l’indésirable retour dans le placard pour ceux qui ont pu vivre leur amour librement depuis si longtemps : autant de thèmes sérieux abordés avec doigté qui ne pourront laisser personne indifférent. Les dessins, plus réalistes qu’audacieux, ont l’avantage de laisser toute la place à l’histoire.

 

Years of the Elephant, de Willy Linthout (v. f. : Les années de l’éléphant)
L’éléphant du titre, c’est cet animal dont on dit qu’il a une mémoire particulièrement grande. Ici, le souvenir indélogeable de la mémoire de l’auteur, présenté à travers la figure de son alter ego Carl, c’est celle des années qui ont suivi le suicide de son fils. Avec un crayon sombre, mais une esthétique unique mettant en valeur l’émotivité du propos, l’auteur nous parle de son propre parcours, de conseils de collègues en suivis de psychologues, dans une tentative de faire la paix avec cet évènement bouleversant. Un récit pertinent, autant pour ceux dont les idéations suicidaires pourraient leur faire oublier le vide que leur disparition causerait que pour ceux qui ont vécu cette forme de deuil.

 

My Degeneration: A Journey Through Parkinson’s, de Peter Dunlap-Shohl (non traduit)
Assurément le plus médical des romans graphiques que je vous présente. On passe à travers toutes les étapes de l’expérience de la maladie : signes et symptômes, consultation, examens, diagnostic, traitement et évolution. Heureusement l’auteur n’oublie pas, puisqu’il s’agit de son propre parcours, de nous transmettre de manière efficace les sentiments expérimentés lors des hauts et des bas de sa maladie. Ses traits d’un style volontairement brouillon, pour représenter le tremblement qui est le signe le plus connu de cette maladie, réussissent un parfait alliage entre le contenu et le contenant. Une véritable lettre d’espoir adressée à un patient nouvellement atteint par un patient qui a en partie repris le contrôle de sa vie, ou du moins recommencé à l’apprécier.

 

Chute libre : carnets du gouffre, de Mademoiselle Caroline (v. o. f.)
C’est de dépression postpartum que nous parle l’auteure, une maladie qu’elle a connue elle-même et à propos de laquelle elle cherche maintenant à rassurer les mères qui la vivent. Car le risque est fort de se culpabiliser d’une profonde tristesse ressentie dans un moment dont on se dit qu’il devrait être très joyeux, quand on ne connait pas cette pathologie psychiatrique avec une base organique avérée. Des dessins d’une grande simplicité, qui vont droit au but sans faire l’économie des nuances essentielles. De traitement en rechute, ces carnets restent ceux d’une lente sortie du gouffre.

 

Journal d’une bipolaire, d’Émilie Guillon (v. o. f.)
Même si l’auteure de ce récit autobiographique donne à son personnage un autre prénom que le sien, il n’en reste pas moins tellement riche en détails qu’on ne peut douter de l’authenticité du vécu exposé. À travers des planches d’une exagération calculée, qui rend bien les excès autant d’anhédonie dans la dépression que de tachypsychie dans l’hypomanie, la dessinatrice réussit à faire vivre même au moins bien informé des lecteurs ce qu’est réellement la maladie affective bipolaire (MAB).

 

Swallow Me Whole, de Nate Powell (v. f. : Swallow me whole)
C’est dans le domaine trop souvent incompris de la pédopsychiatrie que nous entraine ici l’auteur-dessinateur, grâce à une histoire qui, sans dépathologiser des situations problématiques, s’efforce de les humaniser en en présentant les mécanismes. Schizophrénie, trouble obsessionnel-compulsif, troubles de comportement s’entremêlent dans une histoire d’amour, de famille et de recherche de la tranquillité perdue. Difficile de dire s’il s’agit d’une situation vécue de près ou de loin par l’auteur, mais assurément on sent qu’il maitrise son sujet et qu’il le livre dans toutes ses subtilités.

 

Fines tranches d’angoisse, de Catherine Lepage (v. o. f.)
Une succession d’images rapides qui rendent d’une façon terriblement efficace et avec beaucoup de punch les pics et les plateaux des troubles anxieux. Symbole par-dessus symbole s’accumulent pour bien rendre l’insupportable attente d’un soulagement qui n’arrive pas, ou qui en tout cas n’arrive pas assez vite. Les textes écrits à la main, en lettres attachées, donnent au tout un air imparfait qui le rend plus accessible. On a encore plus l’impression d’entendre une voix nous parler plutôt que de lire une machine. Un recueil réfléchi, travaillé, simple mais puissant, en plus d’être d’une grande beauté.

 

Marbles: Mania, Depression, Michelangelo & Me, d’Ellen Forney
(v. f. : Une case en moins : la dépression, Michel-Ange et moi)
Ce qui est exposé ici, plus encore que des variations thymiques, c’est l’éternel combat du bipolaire qui souhaite moins que tout que la médication l’amortisse et le prive de ce qui le rend unique. L’artiste raconte son propre dilemme : se médicamenter ou ne pas se médicamenter, si c’est la maladie qui contribue à son originalité, à sa créativité? Avec des passages par la statistique et l’histoire de la littérature, elle nous décrit les allers et les retours de sa réflexion à ce propos, presque aussi changeante que son humeur. Le crayon polyvalent illustre bien la diversité de mouvements de l’esprit d’un patient MAB.

 

Frédéric Tremblay, rédacteur en chef 2018-2019
Première ligne, la revue des médecins de famille de demain

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