À 67 ans, Dr Éric Poirier est un médecin de famille de Sept-Îles à l’aube de la retraite. La rencontre que j’ai eue avec lui a donc permis de mettre en lumière les évènements marquants de sa carrière, dont sa pratique dans la communauté Innu de Uashat-Mak-Maliotenam.
La pratique de soins dans une communauté autochtone dans la réserve Innu de Uashat Mak Mani-Utenam lui a beaucoup apporté. Pour paraphraser un anthropologue qui a beaucoup étudié cette culture : « …avec les Innus, on récolte toujours plus que ce que l’on donne…. Ça s’est avéré complètement vrai dans mon expérience et ce n’est pas par hasard que je termine ma carrière médicale auprès de ces gens : quelle belle fin… ».
D’abord, Dr Poirier a été attiré par la médecine de famille grâce à sa grande diversité de pratique. Il était intéressé par le fait que l’on puisse traiter des personnes de tout âge, que l’on puisse toucher à toutes les spécialités médicales et que le lieu de pratique soit variable (pratique hospitalière, GMF, cabinet privé, soins à domicile…). Par-dessus tout, ce qui importait le plus pour lui, c’était la relation privilégiée qu’il pouvait entretenir avec les patients et leurs familles.
En parlant de diversité de pratique, Dr Poirier s’y connait bien. En effet, au début de sa carrière, sa pratique était majoritairement en milieu hospitalier. Il a donc exercé à l’urgence, en hospitalisation, aux soins intensifs et en soins de bureau. À partir de 2006, il a quitté le milieu hospitalier pour se concentrer sur une pratique en bureau privé dans deux établissements, dont le Centre de Santé de Malioténam, qui se situe à environ 15 km de Sept-Îles.
En parallèle, depuis 2006, il est examinateur pour l’examen de français écrit du Collège des Médecins de Famille du Canada, un examen obligatoire en vue de l’obtention du permis de pratique au Canada pour les finissants en médecine de famille. Cet aspect de sa pratique lui a donc permis de conserver ses connaissances, particulièrement concernant les avancées de la médecine.
Sa pratique en milieu autochtone, à raison de deux demi-journées par semaine, a été offerte à la population Innu par le Conseil de Bande dans le but d’éviter des contraintes de transports pour les patients plus âgés et pour dépanner sur place, dans la communauté, les patients les plus vulnérables sans médecins de famille. Le Conseil de Bande lui a offert cette possibilité de pratique puisqu’il suivait déjà plusieurs patients et avait plusieurs amis dans la communauté.
J’étais alors très curieuse de connaitre les défis et les particularités reliées à cette clientèle.
Selon Dr Poirier, d’un point de vue strictement médical, la pratique en milieu autochtone a peu de différence par rapport à celle en milieu non-autochtone puisque les algorithmes demeurent toujours les mêmes. Par contre, certaines pathologies rarissimes y sont rencontrées plus fréquemment. Par exemple, au fil des années, conjointement avec les experts en Santé Publique, il a été impliqué à trois reprises dans des éclosions de tuberculose dans la communauté.
Il a aussi mentionné que beaucoup de ses patients avaient connu l’époque des pensionnats, ce qui a eu pour effet de les priver de leur mode de vie traditionnelle et de leur culture. La plupart d’entre eux ont donc connu l’enfer de ces tristement célèbres institutions, victimes pendant des années d’isolement, d’acculturation et d’abus psychologiques, physiques et sexuels. Les séquelles de cette épouvantable période sont omniprésentes dans la communauté, selon Dr Poirier.
Toutefois, malgré ce lourd passé, les Innus n’ont rien perdu de leur sagesse, de leur bonne humeur contagieuse, de leur positivité et de leur sens familial, des valeurs qui ont rejoint Dr Poirier. D’ailleurs, sa relation avec les Innus de Malioténam dure depuis près de quarante ans. On dit souvent à la blague qu’il a été adopté par ces gens : lui, sa conjointe, leurs enfants et petits- enfants. Leurs valeurs individuelles et familiales sont une source d’inspiration et un exemple pour lui. Leur culture très ancienne et très riche ainsi que leur connaissance du territoire sont remarquables : Dr Poirier souligne qu’il croit avoir été soigné par eux, beaucoup plus que l’inverse.
À la fin de sa carrière, il peut affirmer, en toute connaissance de cause, que la médecine de famille lui a permis de s’épanouir, autant en tant que médecin qu’en tant qu’individu. Il espère que l’image du médecin de famille ne soit pas modifiée à la baisse, puisque cette profession, qui lui était très exigeante, lui a été aussi extrêmement gratifiante. Il conseille aux futurs médecins de s’investir complètement s’ils veulent s’épanouir dans cette profession, car elle est toujours en mouvement.
Èvelyne Poirier, promotion 2022
Université de Montréal – Campus Montréal