La pratique de la médecine familiale auprès des populations en situation de vulnérabilité

La pratique de la médecine familiale auprès des populations en situation de vulnérabilité
Cette pratique permet d’être créatif dans les interventions et dans la manière d’adapter les recommandations selon la vie et la réalité de notre patient et en fonction de leurs objectifs.addkm - Sutterstock

Dr Mathieu Isabel est un médecin de famille affilié au Département de médecine de famille et de médecine d’urgence de l’Université de Montréal. Il pratique au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, particulièrement au GMF-U et CLSC des Faubourgs, situé au centre-ville de Montréal. Sa pratique est très diversifiée, combinant à la fois des tâches d’enseignement, de recherche et de clinique. J’ai eu la chance de m’entretenir avec lui afin d’en apprendre davantage sur sa pratique et sur le rôle des médecins de famille dans la prise en charge des populations en situation de vulnérabilité.

Pouvez-vous nous parler de votre pratique en tant que médecin de famille au GMF-U des Faubourgs?

J’ai une pratique très diversifiée, combinant 50% de tâches en clinique et 50% de tâches en recherche. Au niveau clinique, je fais de la prise en charge de patients, de la supervision et de l’enseignement aux résidents et externes et je contribue aussi aux activités cliniques du GMF-U, comme la clinique sans rendez-vous. J’agis également à titre de chef médical à la clinique pour les personnes en situation d’itinérance du CLSC des Faubourgs. Au niveau recherche, j’ai terminé récemment une maîtrise de recherche en anthropologie médicale qui explorait le concept de la vulnérabilité relationnelle lors d’interventions en contexte d’itinérance à Marseille en France. Les projets sur lesquels je suis impliqué rejoignent donc directement ma pratique clinique. Actuellement, je travaille comme clinicien chercheur dans la Chaire de recherche du Canada sur le partenariat avec les patients et le public au Centre de recherche du CHUM. Je me concentre sur des projets qui explorent les soins communautaires de proximité, particulièrement des initiatives auprès des personnes en situation d’itinérance. Je travaille aussi en tant que praticien-chercheur au sein du Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté (CREMIS).

Qu’est-ce qui vous a motivé à travailler avec une population en situation de vulnérabilité ?

Mon intérêt pour ce genre de pratique remonte bien avant mon admission en médecine. Avant d’entreprendre mes études médicales, j’ai complété un baccalauréat en psychologie et j’ai débuté une maîtrise en travail social. Dans le cadre de mes études, j’ai pu faire des stages et j’ai occupé différents emplois en intervention psycho-sociale auprès de plusieurs populations en situation de vulnérabilité, notamment en pédiatrie sociale, jeunes adultes en difficulté et dans le milieu carcéral. J’ai donc été exposé à des contextes où la précarité socio-économique et les inégalités sociales étaient à l’avant-plan. Mon intérêt pour la médecine est apparu en côtoyant des médecins de famille inspirants qui travaillaient dans ces contextes. Selon moi, travailler avec les populations en situation de vulnérabilité implique d’inclure le côté clinique, tant biologique que psychologique, tout en ayant une réflexion constante sur les aspects socio-économiques, politiques et les inégalités sociales de santé; c’est ce qui me passionne.

Quels sont les principaux défis lorsqu’on travaille avec une population en situation de vulnérabilité?

Les populations en situation de vulnérabilité regroupent des personnes qui font face à des grandes inégalités socio-économiques. En tant que médecin de famille, nous sommes témoins, aux premières loges, des conséquences de ces inégalités sur la santé souvent fragile de nos patients, en plus des préjugés, des frustrations et des difficultés auxquelles ces personnes font face depuis des années, dans leur vie quotidienne. Il faut donc apprendre à conjuguer tout cela en tant que médecin. Il faut répondre à des situations cliniques souvent complexes, essayer de dénouer des impasses et faire valoir les droits de nos patients. Il arrive parfois qu’on se sente démuni et impuissant face à certaines situations. Le travail d’équipe est d’autant plus important dans ces contextes.

Qu’est-ce que vous pensez que les étudiants en médecine devraient savoir par rapport à votre type de pratique ?

Il s’agit d’une pratique excessivement stimulante et riche, qui permet de combiner des aspects médicaux variés tout en intégrant des aspects fondamentaux en lien avec le côté psycho-social. Ce type de pratique est selon moi l’incarnation de l’interdisciplinarité. On se doit de travailler en équipe et de combiner les forces et les outils professionnels de chacun. Un médecin ne peut pas travailler en silo dans ce contexte car le médicus est imbriqué avec le psycho-social. L’un ne va pas sans l’autre et l’un influence l’autre. Également, je mentionnerais que cette pratique permet d’être créatif dans les interventions et dans la manière d’adapter les recommandations selon la vie et la réalité de notre patient et en fonction de leurs objectifs. Le rôle du médecin de famille dans ce contexte est comme « l’avocat » des patients. Nous sommes aux premières lignes des conséquences sur la santé des inégalités sociales et cela change évidemment notre perspective sur la vie en société. On se sent investi d’une forme d’engagement et responsabilité sociale.

Pouvez-vous nous parler de vos projets de recherche ?

L’un des projets de recherche dans lequel je suis co-chercheur principal cherche à étudier l’intégration d’un pair-aidant au sein d’une équipe d’intervention clinique en itinérance. Plusieurs initiatives de ce genre sont bien établies dans des domaines connexes tels que la santé mentale et la toxicomanie, mais il y a moins de données sur ces programmes en itinérance proprement dit. En raison des nombreux délestages causés par la pandémie, l’accès au soin est devenu un défi pour tous, et particulièrement pour les populations en situation d’itinérance. Nous souhaitons donc voir si l’intégration d’un pair-aidant peut avoir un effet sur le type et la qualité de l’accompagnement. Un pair-aidant est une personne qui a vécu différents enjeux dans sa vie (ex : santé mentale, itinérance) et qui utilise son savoir expérientiel pour accompagner les patients vers une forme de rétablissement.  De façon plus large, nous souhaitons donc proposer des modèles d’intervention en communauté novateurs dans une approche de soins de première ligne de proximité, particulièrement pour les personnes qui vivent en situation de vulnérabilité.

Comme j’ai pu le constater à travers cette entrevue, Dr Isabel est un médecin de famille engagé dans son milieu, qui cherche activement à améliorer la prise en charge et les interventions effectuées par les médecins de famille en première ligne, tout particulièrement vis-à-vis les personnes vivant en situation de vulnérabilité. Les projets de recherche sur lesquels il travaille sont innovateurs et ont un impact direct et important non seulement sur sa pratique clinique, mais également sur la population qu’il dessert.

Laurence Tremblay
Université de Montréal, promotion 2023
Co-présidente du GIMF de l’Université de Montréal

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