Depuis les deux dernières années, j’ai la chance de codiriger le GIMF de l’Université Laval. Étant moi-même une personne passionnée, certains diront même très intense, j’y ai investi beaucoup de temps, d’énergie et de créativité. Récemment, on m’a posé une question qui a inspiré cet article : « À quoi ça sert? » Et oui, dans le fond, pourquoi s’acharner à promouvoir la médecine familiale? Pourquoi mettre des efforts pour innover dans nos activités d’attractivité? À quoi ça me sert à moi, à toi, à tous les étudiants en médecine?
Je commence à un endroit logique : le guichet d’accès à un médecin de famille. Selon le site de la RAMQ, 589 376 personnes étaient inscrites sur le GAMF en date du 1er janvier 2020. C’est-à-dire que plus d’un demi-million de Québécois n’ont pas de médecin de famille et en désirent un. De plus, ce chiffre était de 411 003 le 1er janvier 2018 et de 492 537 le 1er janvier 2019. Tout ça pour dire que depuis les trois dernières années, le nombre de patients en attente d’un médecin de famille augmente de 20 % chaque année au Québec (Régie de l’assurance maladie du Québec)[1]. D’où mon premier argument : faire la promotion de la médecine de famille est nécessaire pour nos futurs patients. Si tous les étudiants en médecine deviennent spécialistes, on ne répond pas au besoin de la population.
Évidemment, ce ne sont pas tous les étudiants qui veulent devenir spécialistes. La médecine familiale a déjà un bon bout de chemin de fait, mais quelle distance nous reste-t-il à parcourir?
Sur le site Internet du CaRMS, les données suivantes sont accessibles concernant les postes et candidatures en médecine de famille à travers le Canada.
Année | Nombre de postes disponibles | Nombre de postes comblés | Nombre de postes non comblés | % de postes non comblés | Nombre de candidatures | Nombre de candidatures avec médecine familiale comme premier choix | % de candidatures avec médecine familiale comme premier choix |
2017 | 1357 | 1206 | 151 | 11.1 | 1885 | 965 | 51.2 |
2018 | 1348 | 1202 | 146 | 10.8 | 1993 | 970 | 48.7 |
2019 | 1385 | 1248 | 137 | 9.9 | 2162 | 974 | 45.0 |
2020 | 1405 | 1236 | 169 | 12.0 | 2135 | 953 | 44.6 |
Tableau 1. Données sur les postes et candidatures en médecine de famille au CaRMS pour les années 2017 à 2020. (CaRMS) |
On y voit d’abord qu’environ 10 % des postes demeurent non comblés chaque année. Encore plus frappant, seulement 45-50 % des candidats ont sélectionné la médecine familiale comme premier choix (CaRMS). Il devient évident que nous avons deux problèmes et donc deux objectifs en mesure de promotion de la médecine familiale : diminuer le pourcentage de postes non comblés, mais également augmenter le nombre de candidats qui prennent la médecine de famille comme premier choix.
Maintenant que nous savons pourquoi faire la promotion de la médecine familiale, on vient à se poser la question suivante : « Comment? » En effet, celle-ci s’effectue depuis plusieurs années, à travers le pays au grand complet, mais comment s’assurer que celle-ci fonctionne? Comment faire évoluer nos activités et notre matériel avec le temps?
En septembre 2020, nous avons lancé à l’Université Laval un projet de sondages qui s’est révélé très pertinent. Nous nous questionnions à savoir quel était l’intérêt des étudiants envers la médecine familiale, dans quelle mesure cet intérêt variait avec les années et quels étaient les facteurs qui influençaient particulièrement cet intérêt. Je vous présente aujourd’hui quelques résultats fascinants qui permettent d’orienter nos efforts en promotion de médecine familiale.[2]
Premièrement, de façon unanime entre les trois cohortes du préclinique, les trois facteurs les plus importants pour les étudiants concernant leur choix de résidence étaient la diversité de pratique, la relation médecin-patient et la conciliation travail-famille. C’est un fait intéressant, puisque ces trois aspects sont souvent ceux qui sont mentionnés d’emblée par des médecins de famille alors qu’on leur pose la question « Pourquoi avoir choisir la médecine de famille? ». On en conclut donc que la médecine familiale possède elle-même les atouts principaux pour plaire, il ne reste qu’à présenter ceux-ci de façon plus évidente. On peut ainsi utiliser ces résultats en insistant lors de nos efforts de promotion sur ces trois aspects.
Figure 1. Facteurs les plus importants pour le choix de résidence, tirés d’un sondage effectué à l’automne 2020 chez des étudiants en médecine de l’Université Laval.
Deuxièmement, nous avons demandé aux étudiants de première année de citer des aspects ou des préjugés de la médecine de famille qui influençaient négativement leur choix ; travail répétitif, travail de bureau et délégations excessives sont les points les plus souvent mentionnés. Certes, le but de cet article n’est pas de déconstruire moi-même ces trois fausses idées (même si j’en ai envie). Par contre, j’invite tout étudiant, médecin ou autre individu concerné par la promotion de la médecine familiale à profiter de ces résultats. En effet, ce sont souvent les préjugés les plus entendus par rapport aux médecins de famille (« ils sont toujours dans leur bureau », « c’est toujours la même chose », « ils ne voient pas de vrais problèmes, aussitôt qu’ils découvrent une maladie ils référent en spécialité »), alors pourquoi ne pas exploiter ceux-ci? Déconstruire ces préjugés tôt en début de parcours médical pourrait avoir un impact significatif sur le nombre d’étudiants qui choisissent d’aller en médecine familiale, en plus de permettre à tous de faire un choix réellement éclairé.
Finalement, les données sont somme toute encourageantes. En effet, c’est environ 55 % de chaque cohorte qui cotait son intérêt pour la médecine de famille à 7 ou plus sur 10 (figure 2). Pour les 2e et 3e années, c’est plus de 60 % de chaque cohorte qui dit avoir vu son intérêt pour la médecine familiale augmenté depuis son entrée en médecine. Pour terminer, c’est environ 30 % des 2e années et 35 % des 3e années qui placeraient probablement médecine familiale en premier choix si le CaRMS avait lieu au moment du sondage (figure 3).
Figure 2. Intérêt des étudiants en médecine de l’Université Laval pour la médecine familiale selon un sondage effectué à l’automne 2020.
Figure 3. Si le CaRMS était demain, quelle est la probabilité que tu appliques en médecine familiale? Tiré d’un sondage effectué à l’automne 2020 à l’Université Laval concernant les étudiants en médecine.
En bref, la promotion de la médecine familiale est une tâche importante et qui concerne tous les membres de la communauté médicale universitaire, de près ou de loin. C’est un défi de taille d’ajuster nos activités et nos discours pour déconstruire les préjugés et informer les étudiants. Il est donc impératif d’innover constamment, de rester alerte et curieux. C’est un beau challenge, mais je vous garantis qu’avec passion et persévérance, on peut y trouver une place très confortable.
[1] Attention : il est important de savoir que le nombre de patients inscrits au GAMF est un indice intéressant, mais pas 100 % fiable. On doit tenir compte du fait que certains patients non-inscrits au GAMF n’ont pas de médecins de famille, et vice-versa (certains patients inscrits ont déjà un médecin). De plus, plusieurs patients inscrits au GAMF ont présentement un médecin famille, mais celui-ci ou celle-ci est en pré-retraite. Finalement, certains patients ne désirent pas avoir un médecin de famille.
[2] Je vous invite à communiquer avec le GIMF de l’Université Laval via Facebook pour de plus amples précisions sur les sondages.
Marie-Jeanne Gauthier
Université Laval, promotion 2023
Co-présidente junior GIMF Université Laval
Sources citées
CaRMS. Données Interactives Du R-1, 12 mai 2020,.
Régie de l’assurance maladie du Québec. Évolution du nombre de personnes Inscrites au Guichet d‘accès à un médecin de famille (GAMF) selon leur statut, 2018 à 2021.