Le multiculturalisme en médecine de famille

Le multiculturalisme en médecine de famille

Chaque année, le Québec accueille plusieurs milliers d’immigrants dont la grande majorité s’installe à Montréal. En tant que médecin de famille, il est probable que vous soyez amenés à travailler auprès d’une clientèle multiethnique au cours de votre carrière. Première Ligne a interviewé des médecins et des travailleurs sociaux du CLSC de Côte-des-Neiges à Montréal, qui dessert une population multiethnique importante.

Les différentes catégories d’immigrants
La majorité des nouveaux arrivants ont effectués leur démarche d’immigration à l’extérieur du Canada. Parmi ceux-ci, on retrouve les immigrants économiques (résidents permanents capable de contribuer à l’économie) et les réfugiés acceptés à l’étranger. Ils ont tous les deux droit à une carte d’assurance maladie de la RAMQ.

Les nouveaux arrivants qui demandent le statut de réfugié une fois arrivé au Canada sont appelés demandeurs d’asile (DA). Ils proviennent principalement de pays vivant des tensions ou des crises politiques et demandent la protection du Canada. Ceux-ci sont couverts par le Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI) qui leur donne droit aux ‘‘soins de santé urgents et essentiels’’, y compris l’examen médical d’immigration, les vaccins, les soins médicaux préventifs, la contraception, les soins obstétricaux et prénataux et les médicaments jugés ‘‘essentiels’’. Avec quelques restrictions, le PFSI inclut également les services dentaires et d’optométrie, les consultations psychiatriques et en psychologie, certaines interventions chirurgicales et les appareils médicaux nécessaires (prothèses, fauteuils roulants, etc). Sans être aussi complet que la RAMQ, le PFSI offre donc une couverture médicale similaire.

Les défis du multiculturalisme pour le médecin de famille

La langue
C’est bien connu, le meilleur outil d’un médecin pour arriver au bon diagnostique est une bonne anamnèse. Mais que faire lorsque notre patient ne parle ni français, ni anglais? L’aide d’un interprète se révèle alors très précieuse. Il existe plusieurs types d’interprètes, chacun ayant ses avantages et ses inconvénients.

On a tout d’abord les interprètes professionnels qui offrent une interprétation linguistique et culturelle de qualité et qui protège la confidentialité du patient. Le désavantage majeur est le coût élevé de leur service. Les professionnels de la santé ont également recours à des interprètes informels, tels que les membres de la famille et les amis du patient, qui peuvent offrir une aide précieuse, surtout en cas d’urgence. Ils sont disponibles et ne coûtent rien à l’établissement, mais peuvent entrainer des problèmes, tels que des bris de confidentialité, l’autocensure de la part du patient, des problèmes de neutralité et des erreurs d’interprétation de la part du traducteur puisqu’il n’a pas de formation ni en interprétation ni dans le domaine médical. Il faut également redoubler de prudence lorsque le traducteur est un enfant mineur, ce qui risque d’inverser les rôles au sein de la famille et de trop responsabiliser  l’enfant. Il faut également être attentif aux interprètes qui répondent à la place du patient, où dont les phrases sont plus longues ou plus courtes que celles du patient, ce qui peut indiquer que la traduction n’est pas fidèle.

L’usage d’un interprète permet une meilleure communication entre le patient et le médecin, ce qui améliore la qualité de l’évaluation médicale ainsi que la fidélité du patient au plan de traitement. Par contre, le temps de la visite peut facilement doubler puisque tout devra être dit deux fois.

La culture
La culture du patient influence tous les aspects de l’expérience personnelle de la maladie. Ses valeurs et ses croyances teintent la perception de ses symptômes, des causes et des conséquences de la maladie ainsi que la perception des traitements appropriés. Il est important pour le médecin d’explorer ces perceptions et de les comprendre, car ignorer ses détails peut aboutir à la non-adhérence et l’insatisfaction du patient. Dans un contexte multiculturel, la prise en charge médicale centrée sur le patient, qui considère le patient dans son contexte biopsychosocial afin de répondre à ses besoins spécifiques et uniques, est essentielle. Il est important de construire une alliance thérapeutique en acceptant le patient dans sa diversité et en gardant l’esprit ouvert et flexible pour que la discussion entre le médecin et le patient aboutisse à une vision mutuellement satisfaisante de la nature du problème, du traitement et des objectifs du traitement. Cela implique souvent de faire des compromis avec le patient au niveau du traitement. Cette approche augmente la satisfaction du patient, renforce le lien entre le patient et son médecin et finit par améliorer l’adhérence au traitement.

Élaborer un diagnostic différentiel adapté au patient
Un autre défi de taille est l’élaboration d’un diagnostic différentiel et d’un plan de traitement adapté au patient immigrant et du pays d’où il vient. Pour ne donner qu’un exemple, si un jeune homme de 26 ans se présente à votre clinique sans rendez-vous avec de la fièvre, de la toux et un mal de gorge et qu’il a récemment émigré de la Guinée il y a quatre semaines, il y aura d’autres entités à inclure à votre diagnostic différentiel que l’infection des voies respiratoires supérieures. Il est primordial d’être au courant de la distribution géographique des différents pathogènes, ainsi que de leur temps d’incubation ou de leur cycle de reproduction. Dans un cas de fièvre comme celui-ci, il est important d’exclure tout d’abord les maladies qui mettent rapidement la vie du patient en danger, tel que la malaria, la fièvre typhoïde et la méningite à méningocoques. Ensuite, il est important d’exclure les maladies qui posent un risque à la santé publique, tel que la tuberculose, la rougeole et l’hépatite virale. Dans tous les cas, il ne faut pas se gêner de consulter un microbiologiste pour l’interprétation des résultats de cultures et de frottis sanguins et pour de l’aide au niveau du diagnostique.

CLSC Côte-des-NeigesLes cas de santé mentale lourds et les répercussions psychologiques sur le médecin
Pour les médecins comme le Dre Richter, travaillant au CLSC Côte-des-Neiges à la clinique CDAR auprès des demandeurs d’asile et des réfugiés, une partie importante de son travail consiste à diagnostiquer et à gérer les cas de santé mentale. La grande majorité des DA et des réfugiés ont vécus des moments traumatisants que la plupart d’entre nous peuvent difficilement imaginer. En plus du fait d’être déstabilisé par le changement de pays et de vivre un choc culturel, il y a les histoires de tortures, de meurtres, d’agressions sexuelles, de violence organisée, de répression politique, d’exploitation sociale et familiale, de pauvreté et d’insécurité qui les ont poussés à quitter leur pays in extremis. Il est parfois difficile de se dissocier de leurs malheurs et on prend conscience de manière assez brutale de l’injustice qui existe dans le monde. Cela ébranle nos fondements et peut entraîner une désillusion et une remise en question de nos conceptions du monde.

Lorsqu’un nouveau patient rentre dans mon cabinet, la tension est palpable. Il suffit de creuser un peu et on découvre toutes les atrocités que nos patients ont vécues et qui les ont poussées à fuir leur pays. Devant tous ces malheurs, il n’est pas rare que l’on finisse par pleurer avec nos patients dans le bureau.

Il est important pour le médecin de trouver un bon équilibre dans son approche avec le patient. Il faut être capable de se dissocier assez pour pouvoir être capable de faire notre travail convenablement et de continuer à vivre notre vie sans être oppressé par les émotions que le patient fait naître en nous. D’un autre côté, il faut éviter de développer une indifférence complète, car ce mécanisme de défense est nuisible au patient.

Les bons côtés de travailler auprès d’une clientèle multiethnique
Malgré les multiples défis, la richesse culturelle et la diversité que cette population nous apporte est exceptionnelle. Les découvertes et les échanges enrichissants créent une pratique médicale stimulante, valorisante, diversifiée, en plus d’une croissance personnelle incomparable.

Une résidente en médecine interne de Montréal m’a un jour raconté qu’au cours d’un stage à option en région, son superviseur est venu à elle en disant : « Wow… je viens de voir un patient avec l’anémie falciforme… tu te rends compte ? Le premier de ma carrière… c’est fascinant ». Elle s’est retenue de lui dire que rien que dans sa première année d’externat à Montréal, elle avait eu à gérer sept cas semblables.

Dre Richter, qui travaille auprès des réfugiés et des DA, trouve qu’elle apprend beaucoup de ses patients et que cette population apporte beaucoup de profondeur à sa pratique, et non seulement dans le contexte médical :

C’est très touchant d’être témoin de la résilience et de la force de l’esprit humain ainsi que de la grande capacité d’adaptation de mes patients. Ils me donnent des leçons de vie tous les jours. Ils sont des exemples de courage, de force et de détermination. C’est incroyable qu’avec un peu d’appui, un peu de trazodone pour les aider à dormir et une référence aux services sociaux, un être que l’on a vu initialement rentrer dans notre cabinet brisé, loin de sa famille, essayant timidement de cacher les cicatrices sur son corps, peut évoluer et devenir un membre fonctionnel et actif de la société. C’est très touchant d’être témoin de leur évolution.

Une attention spéciale aux demandeurs d’asile
Dû aux expériences traumatisantes qui ont entrainé leur émigration précipitée et imprévue, les diagnostiques de dépression, d’anxiété, de syndrome de stress post-traumatique et de trouble d’adaptation sont fréquents. C’est au médecin de se renseigner sur les événements passés, la situation familiale, le trajet migratoire et les événements qui ont menés à l’exil du patient. Mais bien souvent, la santé n’est qu’un de leur nombreux problèmes. Ils arrivent au pays avec très peu, sans travail, sans logement et ne parle pas la langue du pays. Par conséquent, ils requièrent une approche multidisciplinaire. Au CLSC Côte-des-Neiges, les médecins et les infirmières s’allient aux travailleurs sociaux pour offrir le soutien le plus complet aux nouveaux arrivants.

PRAIDAProgramme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA)
PRAIDA est un programme régional du CSSS de la Montagne, situé au CLSC Côte-des- Neiges à Montréal pour l’accueil et l’intégration des demandeurs d’asile. Ce programme est unique au CLSC Côte-des-Neiges, mais il y a de nombreuses associations et organismes d’aide à l’intégration des nouveaux arrivants dans la plupart des grandes villes du Québec.

PRAIDA offre du soutien social, légal et financier, un hébergement d’urgence au YMCA et a développé un calendrier d’activités mensuelles, incluant des ateliers et des sessions d’informations facilitant l’intégration des nouveaux arrivants sur les sujets comme la recherche d’emploi, la recherche de logement, l’information sur l’audience et le processus d’immigration, des ateliers de conversation en anglais et en français, des ateliers sur le premier hiver au Québec ainsi que des groupes d’échange et de discussion. La clinique des demandeurs d’asile et des réfugiés (CDAR) est associée au PRAIDA et s’occupe, quant à elle, de la promotion de la santé, du soutien mental et physique durant le processus de stabilisation du statut, du bilan de santé et du dépistage adapté aux demandeurs d’asile et aux réfugiés.

Un immense merci à la Dre Anne-Katrin Richter, médecin de famille au CLSC Côte-des- Neiges et à la clinique CDAR, ainsi qu’aux travailleuses sociales, Mme Hélène Bérubé et Mme Pernilla Palsson, travaillant au PRAIDA, pour avoir partager avec nous leur temps et leur passion contagieuse! Pour ceux et celles qui sont intéressés, sachez qu’il est possible d’effectuer un stage à option à la clinique CDAR.

Natacha KardousNatacha Kardous
Université McGill

 

Références :

  1. Lavanya Narasiah, Gilles de Margerie. Le dépistage médical chez le nouvel arrivant. Le Médecin du Québec, volume 42, numéro 2, février 2007, page 55-61.
  2. Marie Munoz, Anjali Kapoor-Kohli. Les barrières de langue : comment les surmonter en clinique? Le Médecin du Québec, volume 42, numéro 2, février 2007, page 45-52.
  3. Marie Munoz, Juan Carlos Chirgwin. Les immigrants et les demandeurs d’asile; nouveaux défis. Le Médecin du Québec, volume 42, numéro 2, février 2007, page 33-43.
  4. Pierre Dongier, Manon Kiolet, Isabelle Ledoux. La santé mentale des immigrants. Le Médecin du Québec, volume 42, numéro 3, mars 2007, page 33-39.
  5. Renée Pelletier. Oser une médecine du monde. Le Médecin du Québec, volume 42, numéro 3, mars 2007, page 67-72.
  6. Rapport annuel 2012-2013, Programme régional d’acceuil et d’intégration des demandeurs d’asile, Centre de santé et de services sociaux de la Montagne.
  7. Yen-Giang Bui. La fièvre chez le nouvel arrivant. Le Médecin du Québec, volume 42, numéro 3, mars 2007, page 41-45.

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