C’est le sourire aux lèvres et les yeux pétillants que Claudia Hébert me fait le récit de son stage IFMSA au Bénin. À l’été 2013, cette étudiante en médecine de première année quitte son Québec natal pour rejoindre les terres chaudes de l’Afrique de l’Ouest la tête remplie d’espoirs, de questionnements et d’appréhensions. Six semaines plus tard, Claudia revient au pays ayant vécu une expérience culturelle incroyable, mais aussi plusieurs désillusions sur l’aspect éthique des stages d’observation médicale pour les élèves du préclinique.
L’observation en première ligne en tant qu’apprentissage
Tout d’abord, il est primordial de savoir que les stages d’immersion du Standing Committee on Immersions (SCOI) de la Fédération internationale des associations d’étudiants en médecine (IFMSA) ne sont pas de l’aide humanitaire, mais bien de l’observation. En effet, cette forme d’enseignement est très enrichissante pour les étudiants en médecine; elle leur permet d’avoir des discussions éducatives avec des médecins étrangers, de les voir en action, de participer au questionnaire et à l’examen physique des patients et surtout de se familiariser avec un système de santé parfois complètement antagoniste au modèle québécois.
Cependant, puisque les Occidentaux sont reconnus outre-mer pour avoir de bons systèmes de santé et beaucoup d’acquis médicaux, il peut arriver que les étudiants se fassent demander quels sont les techniques utilisées ou même les traitements prescrits au Canada. Dans de tels cas, les stagiaires doivent s’assurer que le personnel ainsi que les patients comprennent qu’ils sont encore à leurs premiers pas en médecine. En faisant preuve de beaucoup d’humilité en avouant ses limites, autant à soi-même qu’aux autres, il est possible d’éviter ces situations délicates.
…dans de multiples pays africains, c’est la famille qui doit aller acheter les articles médicaux nécessaires à soigner le patient à l’hôpital. Ainsi, il est aisé de constater que l’argent dont dispose la personne malade a une grande influence sur la qualité de ses soins…
Par ailleurs, un conflit éthique semblable se pose lorsque les élèves se font offrir de performer un acte médical, tel qu’un point de suture ou un accouchement, lors d’un stage à l’étranger. C’est à l’étudiant confronté à cette situation que revient la tâche de faire une réflexion sur ce qui est correct ou non, ce qui le rend inconfortable ou encore sur ce qui pourrait porter préjudice. Le stagiaire qui choisit de performer un tel acte doit s’assurer du consentement libre et éclairé du patient, ce qui peut être ardu si les deux parties ne parlent pas la même langue.
De plus, dû à la réputation des Occidentaux, les malades peuvent avoir l’impression que l’élève en médecine a de fortes connaissances alors que, bien au contraire, il n’est qu’en début d’apprentissage. Bien qu’il soit très tentant d’accélérer le processus de formation et d’exercer des actes médicaux avant l’externat, il faut toujours garder en tête que la priorité est le bien-être des patients et veiller à ne pas les prendre comme des cobayes, que ce soit volontaire ou non. À l’externat, un patron prendra le temps requis pour enseigner les techniques et ces dernières seront pratiquées sur des patients ayant donné leur consentement après avoir reçu toute l’information nécessaire à cette prise de décision.
La formation préclinique, suffisante?
De surcroit, il est fondamental de s’interroger sur l’aspect éthique d’un voyage d’observation médicale. Cette question se pose surtout si le stage s’effectue dans un milieu avec peu de ressources matérielles et un manque de personnel. En effet, un étudiant du préclinique a peu à offrir à son milieu de stage à l’exception de cadeaux, que ce soit du matériel médical ou de l’argent, car il ne détient pas assez de compétences pour prendre en charge des patients, apporter de nouvelles connaissances à l’hôpital ou alléger la tâche des médecins locaux. Au contraire, ces derniers se font extrêmement généreux en donnant de leur temps pour former les stagiaires et leur donner des connaissances qui leur resteront tout au long de leur carrière. En contrepartie, les étudiants, malgré leur grande volonté et leur générosité, ont peu à offrir à long terme à leur pays d’accueil.
Cependant, Claudia Hébert a relaté que malgré le fait qu’elle se sentait souvent surpassée par les évènements et qu’elle n’était pas rendue à un niveau assez élevé pour absorber la panoplie d’informations qu’elle a eu la chance d’avoir sur les traitements, les maladies et les investigations, elle note que la première année à l’université Laval prépare quand même bien à aller sur le terrain.
Effectivement, avant de partir en voyage elle a eu des cours de pneumologie, cardiologie, infectiologie, gastro-entérologie, système urinaire et endocrinologie. Pourtant, même si elle s’est sentie prête à partir après la première année, puisqu’elle a eu la chance d’avoir tous ces cours à système, elle constate qu’elle ne disposait pas assez de connaissances pour profiter pleinement de ce stage.
Pendant six semaines au Bénin elle a acquis des connaissances extraordinaires sur les maladies tropicales; des pathologies qui sont rares au Québec, mais qui font partie du quotidien en Afrique. De plus, elle a appris à faire des diagnostics qui reposaient davantage sur le questionnaire et l’examen physique que sur les tests de laboratoire ou les méthodes d’imagerie, car ces derniers sont coûteux, parfois non accessible ou le patient n’a tout simplement pas les moyens financiers de se les procurer.
Néanmoins, bien qu’elle ait adoré son expérience, Claudia aurait préféré faire cette formation à l’externat, où il est possible de remplacer un stage du programme régulier pour aller à l’étranger. Effectivement, les externes qu’elle a eu le loisir de côtoyer au Bénin ont profité en tous points de l’expérience. Ils pouvaient aider les médecins locaux, absorbaient mieux l’information, discutaient plus aisément du fonctionnement des systèmes de santé étrangers et pouvaient exercer des actes médicaux de façon sécuritaire. Bref, ils ont énormément appris lors de cet été.
Une initiation à la médecine avec ressources limitées
D’un autre côté, les stages d’observation sont une belle façon d’initier les élèves aux systèmes de santé étrangers et de leur faire vivre un choc culturel. Cela leur permettra d’arriver plus préparés mentalement et physiquement lors de futurs voyages humanitaires. Les étudiants sont confrontés à une tout autre façon de fonctionner; l’attente peut être très longue même pour des cas extrêmement urgents et les médecins prescrivent des médicaments en fonction des moyens financiers du patient, car dans plusieurs cas ils paient en totalité leur traitement ainsi que tout soin de santé.
Par ailleurs, dans de multiples pays africains, c’est la famille qui doit aller acheter les articles médicaux nécessaires à soigner le patient à l’hôpital. Ainsi, il est aisé de constater que l’argent dont dispose la personne malade a une grande influence sur la qualité de ses soins et les familles doivent malheureusement parfois faire le choix déchirant entre soigner un proche en liquidant pratiquement tous leurs avoirs ou laisser la vie suivre son cours. Ces expériences sont très ardues pour les élèves, mais elles les aident aussi grandement à être mieux formés à offrir de l’aide humanitaire lors de leur carrière.
Décidément, l’immersion culturelle est édifiante et aide au développement psychologique et moral des stagiaires. Seulement, est-ce que le stage médical de longue durée est réellement nécessaire aux étudiants du préclinique? Est-ce que les futurs médecins québécois auraient une expérience d’autant plus positive si l’observation clinique était représentée en moins grande partie lors de leur voyage et que ce dernier comprenait aussi une composante de type humanitaire?
Bien entendu, l’endroit choisi pour effectuer une immersion clinique est un important facteur dans l’aspect moral du stage. Réaliser une telle formation dans un milieu où les ressources matérielles sont suffisantes, où les patrons disposent d’assez de temps pour répondre aux besoins du stagiaire et où les patients sont au fait du niveau de compétence de l’étudiant a beaucoup moins d’impacts négatifs sur l’hôpital.
Cependant, avant de réaliser une formation à l’étranger, l’élève doit se demander ce qu’il attend de son expérience. Dans le cas où c’est simplement d’acquérir de nouvelles connaissances médicales, alors peut-être que l’équipe Soutien Aux Régions pour le Recrutement des Omnipraticiens et des Spécialistes (SARROS) est plus adapté ou que la solution repose simplement sur le choix d’un pays d’accueil avec un système de santé relativement semblable au modèle canadien et qui dispose de bonnes ressources. Sinon, si l’aspiration de l’étudiant est de faire un voyage humanitaire, alors la clé serait d’attendre à l’externat avant d’effectuer un stage de soins de santé.
Dans l’hypothèse où une personne souhaite vivre un choc culturel tout en restant dans le milieu médical, alors la IFMSA ou la Faculté de médecine pour la santé internationale (FEMSI) sont de bonnes options, toutefois il importe de partir en étant très bien préparé et en connaissant ses limites personnelles et professionnelles. Dans le même ordre d’idées, Claudia est indubitable sur la beauté de son expérience, néanmoins si elle avait à recommencer elle ferait les choses différemment, soit en ayant une base de la langue et en connaissant mieux la culture, les enjeux socio-économiques et le système de santé avant de partir.
** Pour des raisons de confidentialité, Claudia Hébert est un nom fictif.
Propos recueillis par Léa Bélanger Sanscartier
Université Laval