Avis : recherche de médecins de famille… pour nos aînés!

Avis : recherche de médecins de famille… pour nos aînés!
Les soins aux personnes âgées font partie d’une pratique diversifiée, dynamique et parsemée de beaux défis (pour ceux qui aiment les cas complexes, vous serez servi!)Image : Shutterstock

Avant même d’entrer en médecine, je savais que je voulais me diriger vers la relation d’aide ou vers un métier dans le réseau de la santé (si on écarte la période où je désirais être professeure de mathématiques ou historienne). En fait, ce sont plutôt mes heures de bénévolat obligatoires au curriculum de ma 3e année au secondaire qui m’ont fait ressentir de la gratitude lorsque j’aidais quelqu’un.

Mon amie m’avait invitée à faire quelques heures de bénévolat dans la résidence pour personnes âgées où résidait sa grand-mère. Avant d’y aller, je n’avais pas d’attentes particulières autres que de terminer mes heures et, pourtant, c’est une expérience qui me marque et dont je parle encore fréquemment aujourd’hui.

Du haut de nos 15 ans, nous ne faisions pas de grandes tâches, mais nous étions des partenaires de bingo hors pair! Au fil des heures à côtoyer les résidents, j’ai eu de nombreuses discussions ou des situations qui m’ont d’abord fait découvrir, puis confirmer mon intérêt pour le travail impliquant un côté interpersonnel, mais surtout, ma grande appréciation des personnes âgées.

Leur sagesse, leurs anecdotes, leurs sourires chaleureux et leur immense reconnaissance pour les gestes les plus simples (comme placer un bonbon au bon endroit sur leur biscuit en pain d’épice) ont gagné mon cœur.

Cette expérience aurait pu n’être qu’anecdotique, mais je ressens aujourd’hui que mon intérêt pour les soins aux personnes âgées ne s’est pas affaibli depuis mon entrée en médecine et que j’y vois d’autant plus la place importante qu’ils ont au sein de la médecine de famille.

Vieillissement de la population
À l’instar de bien des sociétés occidentales, notre population est vieillissante. Mais notre démographie amplifiera ici le phénomène : le pic du baby-boom d’après-guerre a été particulièrement aigu au Québec et a été suivi d’une très forte baisse du taux de natalité. En conséquence, la vague de vieillissement est très forte.

En 2017, lors d’un recensement, on comptait déjà 1,5 million de personnes âgées au Québec[1]. Les projections estiment que ce nombre augmenterait d’environ 1,1 million d’ici 2066, soit l’équivalent de 27 % de la population totale[2] .

Ces chiffres démontrent simplement un besoin, du moins démographique, d’avoir davantage de médecins, notamment des médecins de famille, capables d’offrir des soins aux personnes âgées. D’ailleurs, il y a une tendance évidente quant à l’âge et à l’inscription auprès d’un médecin de famille. Près de 98,4 % des personnes âgées de plus de 80 ans sont inscrites[3]. La demande d’offre de soins de santé et de services sociaux connaîtra inévitablement une croissance, d’où l’importance de les adapter pour mieux répondre aux besoins de cette population grandissante[4].

Pourtant, il y a un manque d’intérêt des étudiants en médecine à travailler auprès de cette population pour diverses raisons : ne pas se sentir assez compétent, ne pas avoir été assez en contact avec des aînés pendant leur formation, ne pas bien connaître les milieux, avoir eu de mauvaises expériences avec cette population, notoriété et salaires moindres, difficultés communicationnelles, désespoir, complexité, domaine ennuyeux et peu stimulant, etc.[5].

Démystifions la question sous l’angle de l’offre de service des médecins (parmi qui, nous le verrons plus loin, un pic de retraites est à prévoir à court terme, associé ici aussi au phénomène du baby-boom). Peut-être que plusieurs de ces préjugés seront démentis au cours de votre lecture?

Comprendre la différence entre un gériatre et un médecin de famille offrant des soins aux personnes âgées
Il est d’abord primordial de comprendre que ce sont deux rôles qui se complètent. On connaît trois parcours type :

1. Un gériatre est un médecin spécialisé en médecine interne : 3 ans en tronc commun, puis 2 ans concentrés sur les soins gériatriques.

2. Pour les résidents en médecine de famille, il existe un programme de compétences avancées en soins aux personnes âgées d’une durée d’un an s’ajoutant aux 2 ans de résidence.

3. Des médecins de famille possédant une expérience clinique clé dans le domaine pratiquant ce type de soins sans avoir nécessairement terminé le programme, mais par un concours de circonstances, leur patientèle étant principalement composée de personnes âgées.

Le gériatre et le médecin de famille travaille en équipe afin d’aider de façon optimale les patients avec des cas complexes, dont multiples comorbidités et une polypharmacie par exemple. Au Québec, contrairement à ailleurs dans le monde, les soins de première ligne sont à la charge des médecins de famille. En fait « il ne sera jamais possible, et ce n’est pas souhaitable que tous les aînés soient pris en charge par un gériatre »[6].

Cette équipe dynamique est le portrait de la plupart des relations de collaboration qui existent entre les divers spécialistes, principalement en charge des soins de 2e ligne, et nos omnipraticiens, assurant les soins de première ligne et leur continuité.

En fait, au Québec, il faut d’abord avoir eu une consultation avec un médecin de famille avant d’en obtenir une première avec un spécialiste (sauf exception pour certaines urgences)[7]. Le gériatre agit principalement dans les cas aigus, étant donné que ceux-ci sont généralement annonceurs du développement d’une condition sous-jacente qui nécessitera un suivi régulier pouvant être assuré par un médecin de famille.[8] Ce travail d’équipe assure une offre de soins optimale, mais d’abord faut-il les médecins pour le faire.

Les enjeux
Malheureusement, il y a un manque flagrant de médecins spécialisés en soins aux personnes âgées. En 2009, il y avait 228 gériatres au Canada avec un besoin estimé de 500 médecins[9]. Tout porte à croire que cette proportion s’est maintenue, voire, s’est détériorée aujourd’hui en 2022.

S’ajoutant à cet enjeu, il y a aussi l’importante proportion de médecins compétents en la matière qui s’approchent de la retraite à grands pas. Le nombre est déjà insuffisant pour la demande, mais en plus nous perdrons des joueurs en grand nombre au cours des prochaines années.

En 2019, au Canada, 40,5 % des médecins de famille étaient âgés de 55 ans et plus. Cette même année, on comptait 10 909 médecins de famille au Québec. « Au Québec, [toutes spécialités confondues], un médecin sur quatre a plus de 60 ans. On compte exactement 2 322 médecins actifs âgés entre 60 et 65 ans, sans compter 3 147 autres ayant plus de 65 ans. (…) En 2022, on prévoit accueillir 442 nouveaux médecins de famille. On est loin du compte pour combler les départs à la retraite prévus. »[10]. En 2019, 33,2 % des diplômés en médecine ont choisi la médecine de famille comme premier choix au CaRMs[11]. Alors que le Ministère hausse depuis quelques années l’offre de résidence en médecine de famille (55 % des postes de résidence autorisés, soit 400 en 2019), on constate un nombre grandissant de postes non comblés.[12] [13]. On peut estimer que sur la proportion totale de nouveaux résidents en médecine de famille, bien évidemment que ce ne sont pas tous les étudiants qui sont intéressés à orienter leur pratique en soins aux personnes âgées.

Source : Association médicale canadienne

Source : Association médicale canadienne

Ces chiffres parlent d’eux-mêmes et rappellent l’importance de valoriser et de promouvoir le rôle des médecins de famille au sein des facultés de médecine. J’y perçois un appel aux renforts intéressant : n’est-ce pas gratifiant de contribuer à une cause, à encourager l’accès à un médecin de famille pour tous?

Les solutions
Les différentes facultés de médecine ont tout de même adapté leurs programmes afin d’accroître l’exposition des stagiaires à ce type de soins. Depuis 1989, le CMFC (Collège des médecins de famille du Canada) a implanté 15 programmes de compétences avancées en soins aux personnes âgées ayant une durée de 6 à 12 mois après les deux années de résidence initiales en médecine de famille[14].

Au Québec, 17 postes sont offerts annuellement pour les résidents en médecine de famille pour l’un de ces programmes (voir le tableau ci-dessous pour les répartitions par université).

Source : CaRMs : jumelage en médecine familiale – compétences avancées

Portant moi-même fièrement les couleurs du Rouge et Or, j’utiliserai le programme de compétences avancées de l’Université Laval à titre d’exemple, mais bien évidemment chaque programme s’équivaut, répondant aux mêmes exigences académiques.

La mise en candidature à ce programme requiert :

1. Le dossier résident

2. Une entrevue incluant le curriculum vitae

3. Une lettre de motivation

4. Des lettres d’appui à la résidence

Le programme est d’une durée de 12 mois au cours desquels différents domaines seront explorés :

Source : Résidence en soins aux personnes âgées de l’Université Laval

Les programmes de compétences avancées ne sont qu’un exemple de parcours. Comme il est mentionné plus haut, une majorité de personnes âgées sont inscrites auprès d’un médecin de famille. Il n’est alors pas nécessaire de participer à un programme du genre, mais c’est une avenue intéressante pour ceux qui ont un intérêt particulier pour cette patientèle et qui souhaitent ajouter des outils à leur bagage.

Les soins aux personnes âgées font partie d’une pratique diversifiée, dynamique et parsemée de beaux défis (pour ceux qui aiment les cas complexes, vous serez servi!)

S’il y a un message à retenir, je crois que c’est l’importance du rôle du médecin en première ligne. Les aînés sont un groupe qui nécessiteront davantage d’attention avec les années. C’est une population que j’affectionne particulièrement et j’encourage mes collègues à y voir toutes les occasions qui se cachent derrière une telle pratique.

À PROPOS DE L’AUTRICE

Myriam Pelletier
Université Laval, promotion 2024
Co-présidente du GIMF de l’Université Laval

Je m’appelle Myriam Pelletier et je suis co-présidente du GIMF de l’Université Laval depuis l’été 2020. J’ai obtenu un DEC du Cégep Lionel-Groulx en Sciences de la nature et je suis présentement à ma 3e année en médecine. La relation patient-médecin longitudinale est ce qui m’a attirée vers la médecine en premier et mon intérêt pour la médecine familiale était ainsi naturel. Je suis privilégiée de pouvoir partager et promouvoir cet engouement pour celle-ci avec mes collègues et leur faire découvrir ses multiples facettes. À l’extérieur du cadre scolaire, je suis intéressée par la photographie, la lecture, les arts, voyager et partager tous ses intérêts avec mes proches me tient à cœur.

RÉFÉRENCES

[1]  Les aînés du Québec – Quelques données récentes (2e édition)

[2] Vers une population de 10 millions de personnes au Québec d’ici 2066

[3] Proportion de la population inscrite auprès d’un médecin de famille

[4] Le système de santé et de Services sociaux au Québec En bref

[5] Vézina, J., Cappeliez, P., & Landreville, P. (2021), Psychologie gérontologique 4e édition, p.11

[6] Does a Senior Need Both a Geriatrician and a Primary Care Physician?

[7] Consulter un médecin spécialiste

[8] Care of the elderly: The role of the internist

[9] Geriatric Core Competencies for Family Medicine Curriculum and Enhanced Skills: Care of Elderly

[10] Exode massif en vue des médecins vers la retraite

[11]Centre de données sur les effectifs médicaux

[12Mémoire complémentaire concernant la répartition des postes de résidence dans les Modalités de détermination du nombre de postes de résidents en médecine disponibles dans les programmes de formation médicale postdoctorale 2020-2021 (quebec.ca)

[13] Médecine familiale : record de postes vacants en résidence

[14] Geriatric Core Competencies for Family Medicine Curriculum and Enhanced Skills: Care of Elderly

BIBLIOGRAPHIE

(s.d.). Les aînés du Québec – Quelques données récentes (2e édition) 

Centre de données sur les effectifs médicaux. (2022).  Association médicale canadienne:

Charles, L., Triscott, J. A., Dobbs, B. M., & McKay, R. (2014, Juin 3). Geriatric Core Competencies for Family Medicine Curriculum and Enhanced Skills: Care of Elderly.

Consulter un médecin spécialiste. (2019, Mars 25).

D.T, R., & Valberg, L. S. (6 octobre 1979). Care of the elderly: The role of the internist.

Le système de santé et de services sociaux au Québec. (2017).

Les aînés du Québec. (2018).

Levy, S. (s.d.). Does a Senior Need Both a Geriatrician and a Primary Care Physician?

Mémoire complémentaire concernant la répartition des postes de résidence dans les modalités de détermination du nombre de postes de résidents en médecine disponibles dans les programmes de formation médicale postdoctorale 2020-2021. (2020, Juillet 2).

Proportion de la population inscrite auprès d’un médecin de famille. (2021, Janvier 14). Récupéré sur Institut de la Statistique du Québec:

Richer, J. (2021, Octobre 17). Exode massif en vue des médecins vers la retraite.

Vers une population de 10 millions de personnes au Québec d’ici 2066. (17 juin 2021).

Vézina, J., Cappeliez, P., & Landreville, P. (2021). Psychologie gérontologie 4e édition. Montréal: Chenelière Éducation.

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