À l’heure actuelle, la santé mentale est sans doute un enjeu de société important. Depuis que la pandémie a frappé, d’innombrables personnes rapportent des symptômes s’apparentant à de l’anxiété ou encore à la dépression. De plus, l’isolement vient causer chez certains une exacerbation d’un trouble de santé mentale déjà diagnostiqué. Qu’en est-il de la prise en charge de ces personnes en détresse dans notre système de santé? Vous aurez deviné que ce soutien primaire est en majorité assuré par les médecins de famille, soit en contexte d’urgence ou encore en consultation au bureau médical.
Mais à quel point les troubles de santé mentale sont-ils omniprésents dans notre société à l’heure actuelle? Après une étude effectuée en avril 2020 par l’Institut à but non lucratif Angus Reid sur des Canadiens, il a été établi que 50 % des Canadiens ont remarqué une détérioration de leur santé mentale au cours de l’année 2020 et qu’une personne sur dix de ce 50 % ont précisé que cette détérioration était vécue de façon sévère (Reid, 2020).
Ces simples données mettent en lumière qu’une énorme proportion de la société se trouve à vivre des difficultés en lien avec leur santé mentale, et ce, surtout depuis l’arrivée de la pandémie et des restrictions sanitaires imposées. Ces personnes se retrouvent à chercher de l’aide auprès du système de santé par consultation en bureau médical ou encore à l’urgence en contexte de crise. On peut donc supposer que ce sont les omnipraticiens qui sont les plus souvent exposés à la clientèle se présentant avec une plainte d’ordre psychiatrique. En effet, il a été établi que le quart des plaintes articulées à un médecin de famille se trouve à être en lien avec la santé mentale (Karazivan, Leclaire, Andres, 2017, p. 411-424), ce qui est loin d’être négligeable.
Avec la pandémie, les médecins, toutes spécialités confondues, ont été forcés de revoir leur emploi du temps et leur façon de faire le suivi de leurs patients, soit par téléconsultation. Cette nouvelle façon de procéder est évidemment avantageuse pour les cliniciens qui se trouvent débordés, mais non profitable pour les patients isolés et en manque d’interactions sociales qui consultent pour un problème d’ordre psychologique. En revanche, nous ne pouvons ignorer le fait que le travail acharné des médecins de première ligne en temps de pandémie a permis la prise en charge de patients en détresse, par exemple sur une liste d’attente en psychiatrie ou encore en besoin urgent de traitement temporaire en attendant que la situation présente une accalmie.
Mais en quoi consiste le travail des médecins de famille auprès de cette clientèle et comment leur approche se différencie de celle des psychiatres? En premier lieu, les omnipraticiens jouent un rôle majeur dans la prévention des troubles de la santé mentale (Balasubramanian et al., 2021, p. 1639-1643). De plus, chaque patient présentant une plainte en contexte de cabinet ou à l’urgence sera évalué par un médecin généraliste qui prendra la décision de prise en charge primaire. Le médecin de famille qui reçoit son patient qu’il traite depuis plusieurs années analysera la problématique de façon globale.
En effet, connaissant le patient dans son ensemble, l’omnipraticien abordera la problématique avec une approche que l’on nomme de psychobiosociale, une pratique s’opposant à l’approche biomédicale simple (Balasubramanian et al., 2021, p. 1639-1643). En effet, l’approche psychobiosociale tâche de considérer les facteurs psychologiques, biologiques et sociaux de la plainte. L’attention est donc moins axée sur la maladie en soi, mais est davantage ajustée au contexte social et familial dans lequel se présente le patient. Cette façon de procéder évite un nombre important de diagnostics erronés, et donc de mesures de traitement inefficaces (Balasubramanian et al., 2021, p. 1639-1643).
Le suivi rapproché du patient permettra également au médecin de première ligne de se concentrer sur les risques et les déficiences fonctionnelles du patient afin de répondre aux besoins immédiats de ce dernier tout en poursuivant la recherche d’un diagnostic précis pour un traitement adéquat à long terme (Silveira, Rockman, Fulford, Hunter, 2016, p. 983-990). C’est en fait sur ce principe que repose complétement la médecine familiale, soit sur le suivi longitudinal et la vision du patient dans son ensemble.
Les psychiatres, quant à eux, sont soumis à une formation les rendant spécialistes de leur sujet. Les omnipraticiens, de leur côté, doivent veiller à entretenir des connaissances variées, ne laissant cependant pas de côté les connaissances psychiatriques. Les psychiatres ont en général une moindre proximité avec le patient, contrairement aux médecins de famille qui entretiennent des relations de confiance établies depuis parfois de nombreuses années. Leur façon de diagnostiquer le problème peut donc différer, ce qui peut nous laisser croire que la démarche diagnostique, chez les spécialistes, est basée sur des critères établis et davantage orientée sur la maladie que sur le patient en soi (Balasubramanian et al., 2021, p. 1639-1643).
Malgré la connaissance du rôle majeur que les médecins de première ligne ont sur la prise en charge des patients aux prises avec des troubles d’ordre psychologique, de nombreux médecins et résidents en médecine de famille avouent être insécurisés face à cette clientèle (Silveira, Rockman, Fulford, Hunter, 2016, p. 983-990). En effet, les patients se présentent souvent avec des symptômes divers et une histoire teintée d’éléments subjectifs qui viennent mélanger le praticien dans sa démarche diagnostique. C’est cette zone grise qui vient créer des incertitudes chez les médecins spécialistes en médecine familiale. Cependant, il est important de garder à l’esprit que la démarche clinique peut être imparfaite. C’est pourquoi la formation médicale apprend maintenant aux futurs médecins de famille à davantage aborder les plaintes psychiatriques en identifiant les facteurs de risques proéminents, les atteintes fonctionnelles et en recherchant une détresse chez le patient (Silveira, Rockman, Fulford, Hunter, 2016, p. 983-990).
Un traitement peut donc être amorcé sans encore avoir défini de diagnostic précis, afin de diminuer les symptômes indésirables et permettre au patient de retrouver une qualité de vie le plus rapidement possible. Il est également intéressant pour les médecins de première ligne de faire preuve de collaboration interdisciplinaire et d’aller demander de l’aide auprès d’autres professionnels pour un recrutement maximal de ressources pour le patient.
BIBLIOGRAPHIE
Balasubramanian, Swaathi, Anand, Ashoojit K., Sawant, Prathamesh S., Rao, Badakere C., Prasad, Ramakrishna. (2021). Managing mental health problems in a family and community setting. Journal of Family Medicine and Primary Care: Volume (10), Issue 4, 1639-1643.
Karazivan, P., Leclaire, M. & Andres, C. (2017). Les médecins de famille et la santé mentale : une expertise en mal de reconnaissance ou une pratique différente de celle des psychiatres? Santé mentale au Québec, 42(1), 411–424.
Reid, A. (2020). Worry, Gratitude & Boredom: As COVID-19 affects mental, financial health, who fares better; who is worse?
Silveira, J., Rockman, P., Fulford, C., Hunter, J. (2016). Évaluer les risques dans le cas de troubles mentaux indifférenciés 62(12), 983–990.
À PROPOS DE L’AUTRICE
Marie-Pyer Lavoie
Université Laval, promotion 2025
Coprésidente junior GIMF UL
Mon nom est Marie-Pyer Lavoie, je suis étudiante de deuxième année en médecine à l’Université Laval et j’en suis à ma première année à titre de coprésidente du groupe d’intérêt en médecine familiale. Mon amour pour la médecine de famille est à l’origine de mon implication au sein du comité. En effet, j’adore les différentes avenues qu’offre cette spécialité, la diversité de pratique ainsi que la possibilité de conciliation travail-famille. Je suis très heureuse cette année de participer à la promotion de cette spécialité avec des gens tout aussi passionnés que moi.