C’est à bord d’un hydravion, accompagnée par Dr Michel Claveau, une résidente et le pilote, que j’ai survolé les splendides paysages du Lac St-Jean. En admirant les épinettes, les lacs et les plus tristes coupes de bois, je me suis rendue à Obedjiwan où une journée de clinique avec les amérindiens m’attendait! Quel choc de culture d’arriver dans ce village isolé où les maisons mobiles s’enlignent les unes aux côtés des autres. En arrivant au dispensaire, c’est par contre le grand sourire des enfants qui nous accueille!
Natif d’Alma, Dr Michel Claveau est médecin de famille à Roberval. Il se rend à la réserve amérindienne d’Obedjiwan rencontrer les patients plusieurs fois par année. Passionné par l’aviation depuis son jeune âge, il combine donc l’utile à l’agréable en s’y rendant par la voie des airs.
Dr Claveau, pourquoi avez-vous choisi la médecine familiale?
Premièrement, je n’étais pas supposé aller en médecine. J’étais un scientifique, passionné par les mathématiques, la chimie et la physique. J’aimais les laboratoires et faire des expériences. J’ai fais un cours de physiologie avec option math et physique à l’Université McGill et dans un de mes cours, j’ai redécouvert la biologie. Par la suite, j’ai voulu faire de la recherche, mais pour faire de la recherche, il faut de l’argent. Un de mes cousins m’a dit que je devrais aller en médecine, car ce sont les docteurs qui sont financés pour faire de la recherche. Ayant toujours aimé apprendre, j’ai alors commencé des études en médecine. Dès la première année de médecine, j’ai oublié la recherche et j’ai découvert ce qui me manquait dans mes autres études : le contact avec les personnes. C’était facile pour moi d’aider les gens et d’interagir avec eux.
…j’ai soigné un monsieur qui a marché pendant plusieurs jours sur une fracture bimaléolaire avant de venir consulter ou un autre qui avait la moitié de son cuir chevelu arrachée et qui a passé 2 jours dans la forêt avec ça!
Pour l’omnipratique, et bien, je suis né omnipraticien! Je veux savoir un peu de tout, je ne suis pas discipliné pour savoir tout sur un sujet. Je n’ai même pas pensé à autre chose quand j’ai fait mon choix, c’était clair que j’étais un omnipraticien!
Qu’est-ce qui vous a amené à vous installer à Roberval?
C’est encore le même cousin qui m’a convaincu de venir travailler en région loin des grands centres. Au départ ce n’était que pour quelque temps, mais j’ai aimé la région et j’ai aussi rencontré ma femme. Il faut dire que qui prend femme prend pays !
Qu’est-ce qui vous a amené à aller pratiquer en réserve?
Je suis un homme qui aime beaucoup voyager. Étudiant, je suis allé travailler dans le Grand Nord. J’ai toujours eu cette fibre voyageuse et cette fibre un peu missionnaire. Il y a environ 20 ans, j’ai rencontré des médecins qui allaient à la réserve d’Obedjiwan. Les habitants de cette réserve sont isolés à plus de 3h de route par la terre et l’accès à un médecin est plus difficile. J’ai alors décidé de commencer ça! J’ai toujours aimé prendre l’avion, donc y aller par les airs c’est mon petit plaisir!
Qu’est-ce que vous aimez de cette pratique?
Premièrement, ça casse la routine! Quand je pars à Obedjiwan, ce n’est pas comme une journée au bureau ou une journée à l’hôpital, c’est complètement différent! Aussi, le peuple amérindien n’est pas un peuple qui se plaint; quand il y a quelque chose qui ne va pas, c’est vrai. Par exemple j’ai soigné un monsieur qui a marché pendant plusieurs jours sur une fracture bimaléolaire avant de venir consulter ou un autre qui avait la moitié de son cuir chevelu arrachée et qui a passé 2 jours dans la forêt avec ça! Nous sommes aussi super bien accueillis, ils apprécient beaucoup notre présence et ce qu’on fait pour eux. On a l’impression qu’avec pas grand-chose on peut régler bien des problèmes.
Qu’est-ce qui est différent et qui rend la pratique différente?
C’est un peuple qui vit au moment présent. Si ça fait mal aujourd’hui on consulte, mais si c’était il y a deux semaines, ce n’est plus important. C’est ce qui fait que c’est extrêmement difficile de traiter les maladies chroniques comme le diabète ou l’hypertension. Il faut aussi penser qu’ils sont isolés, il n’y a pas de milieu hospitalier. C’est un dispensaire géré par les infirmiers. On apprend aussi à exploiter le questionnaire et l’examen physique au maximum si on ne veut pas faire faire 3h de route au patient pour un rayon X. Il y a aussi la barrière de langue. Les enfants ne parlent qu’Atikamèque, car ils apprennent le français à l’école secondaire et étant donné que la plupart ne finissent pas leur secondaire, il ne parle pas toujours bien le français. On en arrive à trouver des trucs pour communiquer facilement et souvent avec l’aide d’un membre de la famille qui parle mieux français. C’est aussi un milieu où il y a beaucoup de violence, de viol, d’alcoolisme et de toxicomanie. Il faut savoir gérer tous ces problèmes et faire de notre mieux pour aider ces patients.
Que diriez-vous à des étudiants en médecine qui sont ambivalent à aller en médecine de famille?
Il faut d’abord regarder son tempérament. Si on est inconfortable avec l’incertitude et le fait de ne pas tout savoir, la médecine de famille ce n’est pas pour nous. C’est une pratique intellectuelle et très valorisante, on touche à tout! Être médecine de famille en région, on peut faire encore plus de choses! C’est une pratique stimulante, remplie de défi et qui nous permet de suivre le patient dans son ensemble. On voit les patients pendant plusieurs années, on les connaît bien et on les accompagne même jusqu’à leurs derniers moments!
Maryse Lefebvre-Laporte
Université de Sherbrooke