Pourquoi une chronique sur la santé mentale dans une revue Web sur la médecine familiale? Avant tout, parce qu’il n’y a pas de mauvais véhicule médiatique pour parler de ce sujet délicat et que Première ligne s’adresse aux étudiants et externes en médecine du Québec, une population particulièrement à risque. Chaque numéro de Première ligne se penchera sur un problème de santé mentale. Si vous aimeriez que l’on traite d’un sujet en particulier, écrivez-nous. Si les choses ne vont pas bien, n’hésitez pas à aller chercher de l’aide. N’attendez pas.
C’est le nouveau terme pour parler d’une année sabbatique. Une année de congé de médecine. L’année sympathique n’a rien d’un phénomène marginal et les bonnes raisons qui motivent la prise d’un tel congé de ses études ou stages sont nombreuses. Nous vous présentons ici, sans les nommer, le cas de quelques étudiants, ainsi que leurs réponses aux questions les plus angoissantes sur une année en dehors de la médecine.
La grossesse et la parentalité
Ce n’est un secret pour personne : les femmes sont de plus en plus nombreuses en médecine. Le meilleur moment pour fonder une famille, il paraît que c’est quand on est prêt. Et il se peut que cela adonne avec les longues études en médecine. C’est un choix personnel, tout comme celui de prendre ou de ne pas prendre une année de congé pour vivre une telle aventure.
« Moi, je voulais vivre ma maternité pleinement et prendre le temps d’être avec ma fille pendant sa première année de vie. Je me suis dit que la médecine, ce n’était pas toute ma vie, et que je voulais simplement mettre ça sur pause. La médecine serait là à mon retour. La première année de vie de ma fille, elle, ne se représenterait jamais. »
Le goût du voyage
Pour arriver en médecine, le chemin n’est pas toujours court ni en ligne droite. Quand on a dû trimer dur pour y arriver et qu’on a fait de nombreux sacrifices en chemin, on peut se demander si on n’est pas passé à côté de certaines choses dans la vie, pendant qu’on est encore jeune et sans grande responsabilité. Il est vrai que la vie se vit à tout moment et pas juste pendant sa jeunesse, mais il y a sans doute des périodes où il est plus facile de plier bagage.
« Quand je serai patron, que j’aurai obtenu mon PREM et ferai partie d’une équipe dont les membres se divisent les gardes équitablement, que j’aurai mes propres patients à suivre, qui sait si je vais pouvoir prendre une année sabbatique? J’en avais envie là. Pas dans dix ans. Je n’avais jamais rien vu du monde, trop occupé à avoir des notes parfaites. »
L’écœurantite aiguë
En principe, on est en médecine parce qu’on a choisi cette profession et, donc, parce qu’on aime ça. Cependant, même si on sait qu’on a fait le bon choix et que tous nos efforts en valent la peine et seront récompensés à moyen et long terme, il se peut qu’un beau jour, on se rende compte que l’on n’est plus capable d’ouvrir son livre, de prendre son surligneur, d’aller à ses cours. On peut en arriver à avoir envie de pleurer ou de vomir en pensant à la médecine. On veut toujours être médecin, mais on a besoin d’une pause pour recharger ses piles.
« Je me levais le matin et je pleurais en m’habillant et en pensant à la journée de stage qui m’attendait. Les fins de semaine, avec ma famille et mes amis, j’étais heureuse et légère. Dès lundi matin, c’était comme si un voile gris se déposait sur mes épaules. Je me répétais que je devais survivre jusqu’à vendredi, coûte que coûte, que ça allait finir par passer, qu’à mon prochain stage, ça irait sûrement mieux. Mais ça ne passait pas. Je me suis rendu compte qu’à faire mes stages simplement pour les passer, en donnant le minimum, j’allais devenir un médecin très médiocre, ou j’allais carrément me rendre jusqu’au bout du rouleau et finir par tout abandonner. En rétrospective, je me rends compte que j’aurais pu aussi y laisser ma peau… »
D’autres horizons universitaires
Certains prennent une année sympathique pour faire une maîtrise, mener un projet de recherche ou terminer un autre bac ou certificat. Pourquoi pas?
« J’avais commencé une maîtrise avant d’être admis en médecine. Je voulais la terminer, mais pendant les études précliniques, je n’en avais tout simplement pas le temps. Comme c’est lié à la résidence que je veux faire, je me suis dit qu’une année de pause de médecine ne pourrait être que bénéfique. »
Un projet spécial
Certains étudiants montent des projets, pendant leurs études en médecine, qui prennent leur envol et atteignent une envergure surprenante. Parfois, après y avoir investi autant d’eux-mêmes, certains décident de les pousser jusqu’au bout. Parfois, cela demande plus de temps que ce que les études en médecine laissent comme temps libre.
La santé financière
S’il est vrai que les banques sont bien aises de prêter aux étudiants en médecine, il est aussi vrai que tous n’arrivent pas sur les bancs de la faculté en équilibre dans leurs ressources financières. Un bac, une maîtrise, un doctorat, voire des études en médecine à l’étranger… les dettes d’étude prémédecine au Québec peuvent être considérables. Rajoutons au tableau une hypothèque et/ou des enfants, ou encore une maladie du conjoint gagne-pain ou la perte de l’emploi de celui-ci. Bref, il y a toutes sortes de raisons qui peuvent expliquer une situation financière qui force un étudiant à mettre de côté sa médecine pour un an, en faveur du marché du travail.
Autres bonnes raisons
Il y en a tout plein. Nous ne pourrions pas toutes les énumérer ici. Ce qui constitue une « bonne raison », eh bien c’est personnel. En réalité, si vous en avez vraiment envie ou besoin, c’est en soi une très bonne raison!
Questions et réponses à quelques angoisses existentielles par rapport à l’année sympathique
1. « J’ai peur de tout oublier en médecine, pendant un an, et d’être complètement nul à mon retour. »
C’est une peur commune. La plupart de ceux qui sont passés par là diront que l’on oublie BEAUCOUP MOINS que l’on pense, d’une part, et d’autre part, que le changement de scène aide à consolider les connaissances, bizarrement. Comme si la poussière avait pu retomber et que les choses étaient plus claires.
2. « Et si je me rends compte que je n’aime plus la médecine? »
C’est possible. Mais le plus probable, c’est que vous vous rendiez compte que ce que vous n’aimiez plus, c’était d’apprendre la médecine dans un contexte où vous n’étiez pas bien. La très grande majorité des sympathisants reviennent plus motivés que jamais.
3. « Tout le monde va savoir que je prends une année de congé pour des raisons de santé mentale. On va chuchoter dans mon dos, me pointer du doigt, dire que je suis le maillon faible de la chaîne. »
Oui, ça va se savoir. On ne peut pas arrêter la machine à ragots. Cependant, c’est souvent l’empathie qui habite les autres, quand ils pensent au sympathisant. Vous pourriez être surpris des encouragements et des inquiétudes que les autres vous témoigneront, voire des confidences que vous recevrez, du genre « moi aussi, j’ai envie de faire une pause, mais je n’ose pas… ». Le taux de suicide est plus élevé chez les médecins qu’au sein de bien d’autres professions. Reconnaître que l’on est à bout et que l’on doit s’arrêter temporairement, et le faire avant qu’il ne soit trop tard, ce n’est pas un signe de faiblesse.
4. « Personne ne prend d’année sabbatique! Ça ne se fait pas. Comment serais-je perçu? »
Quand on ne connaît personne dans son environnement immédiat qui a pris une année sympathique, on peut être porté à croire que ça ne se fait pas, que la médecine, c’est go! go! go! et qu’on ne peut pas sauter en bas du train parce qu’il est en marche. Sachez qu’à chaque année, dans chaque cohorte de chaque faculté de médecine du pays, des étudiants prennent une année sympathique, pour toutes sortes de raisons. Rien ne s’effondre. La vie et le système continuent à faire leur truc. L’année sympathique, c’est loin d’être un phénomène marginal. Vous ne serez pas perçu comme un lépreux. Les autres vont vouloir savoir « pourquoi ». À vous de tourner cela d’une façon qui vous convienne. Et ça finit là. Parce que l’on n’est pas dans un petit village de 200 habitants où votre année de congé constitue LA nouvelle de l’année, dont on va parler et débattre pour les 12 prochains mois. Ce sera constaté, puis tout le monde passera à autre chose. Voilà tout.
5. « Je vais perdre tous mes amis et je vais être un an en retard sur ma cohorte. »
Vos amis seront encore là. Vous ne tomberez pas dans un trou noir pendant 365 jours. Si vous restez en ville, vos bons amis seront à portée. Si vous allez aux antipodes, vous maniez FB et le courriel, au minimum, et vous voilà sauvé. Quant au « retard » sur la cohorte… eh bien oui, le reste de votre cohorte sera un an plus loin. Et puis quoi? Dès l’externat, on est tous déployés un peu partout de toute façon, alors le concept de la cohorte commence à perdre de son sens. À la résidence, c’est l’éclatement total. De toute façon, ce n’est pas une course! Quand vous aurez 55 ans et de nombreuses années de belle pratique derrière la cravate, cette petite année toute sympathique que vous aurez prise, pour de bonnes raisons, fera-t-elle vraiment une différence, médicalement parlant? Mais pour votre bien-être, votre bagage de vie, vos enfants, vos autres rêves, etc., cela pourrait bien faire toute la différence!
6. « J’ai peur de décevoir ma famille, mes amis, mes professeurs. »
C’est compréhensible, d’avoir cette peur. Et peut-être avez-vous aussi peur de vous décevoir vous-même. Personnalité de type A… Communiquez bien à votre entourage les raisons qui motivent votre décision. Il se peut que votre entourage ne vous comprenne pas, voire ne vous soutienne pas, ayant peut-être la crainte que vous ne retourniez jamais en médecine. Mais vous ne pouvez pas vivre votre vie de manière à ne jamais décevoir personne. L’année sympathique, c’est un choix personnel motivé par des raisons personnelles. Faites-vous confiance.
7. « Je ne me sens pas capable de continuer. Mais tout le monde le fait. Serait-ce un signe que je ne suis pas fait pour être médecin? »
Tout le monde semble foncer, travailler avec acharnement, accumuler du stress et de la fatigue et continuer à suivre le rythme effréné sans problème. Il y a comme une loi du silence, dans le milieu. On s’attend de nous, les étudiants en médecine, que nous soyons performants, travaillants, efficaces, concentrés et motivés en tout temps. Nous avons été triés sur le volet. Nous faisons partie de la crème de la crème des étudiants de notre pays. De ce fait, nous DEVONS être performants, travaillants, efficaces et motivés en tout temps. Et c’est l’image que nous présentons à tous, même aux collègues de classe avec qui nous sommes le plus proches. C’est l’image que nous voulons voir quand nous nous regardons dans le miroir.
L’absurdité, c’est de croire que tous les autres vont parfaitement bien, juste parce qu’ils présentent une telle image d’eux-mêmes. Le danger, c’est de croire qu’on n’a pas le choix, que l’on doit continuer, coûte que coûte. Rien n’est plus faux.
Faites preuve d’empathie envers vous-même. Faites preuve de maturité et de sagesse. Si vous avez envie ou besoin d’une année en dehors de la médecine, prenez-la. Vous ne regretterez pas cette année d’investissement en vous-même, en votre santé mentale, en vos voyages, en votre bébé, en votre projet de recherche ou projet spécial. Vous ferez sans doute de la médecine pour le restant de vos jours, soit plusieurs décennies. Une petite année entièrement consacrée à autre chose, en bout de ligne, ça ne fera de vous qu’un meilleur médecin.
Èvelyne Bourdua-Roy, Université Laval